9.2.2.2 Actualisation du processus : des situations différentes

Ce qui nous a permis de produire le travail de modélisation qui constituait l’objectif principal de cette recherche, c’est tout à la fois la proximité et l’écart existant entre les situations institutionnelles étudiées, dans lesquelles on a pu repérer un même processus de fondation utopique. C’est à ce titre que nous devons signaler les éléments qui constituent le registre proprement conjoncturel dans lequel il s’inscrit, puisqu’il en tire son unité structurante, par delà la diversité des contextes institutionnels rencontrés (voir le tableau ci-dessous).

Le meurtre fantasmé : La première situation, et certainement la plus illustrative, est bien entendu celle de la M.A.S. Montplaisant, fondée très nettement dans un élan utopiste en opposition contre l’image asilaire. Le refoulé originaire porte ici sur un contenu fantasmatique : le désir inconscient de meurtre. Il nous semble possible d’inclure dans cette catégorie le cas des M.A.S. de Seyssuel et de la Charminelle, qui ont fait l’objet des précédentes vignettes cliniques (tableau, cas [1]).

La mort réelle fantasmée : La seconde, non moins intéressante, est celle de la M.A.S. des Montaines, qui offre la particularité de voir ce même processus mis à l’oeuvre, non pas contre la figure de l’asile, mais contre une utopie première, suite au constat de l’échec de son projet idéal. Le refoulé originaire porte en outre ici sur un contenu fantasmatique prenant racine sur un événement réel, appartenant à l’histoire de l’institution critiquée : le refoulement du désir de meurtre s’enracine sur une mort réelle mais fantasmée (tableau, cas [2]).

La mort réelle répétée : Troisième cas : la M.A.S. de Saint-Jean-Bonnefonds, qui tire sa particularité, de par son appartenance au milieu sanitaire et son histoire, de conjoindre les deux situations précédentes ; la M.A.S. est née de la critique de la dimension asilaire (cas de Montplaisant) et le refoulé originaire sur lequel elle se fonde se rapporte à une mort réelle (cas des Montaines). Mais ici, et c’est certainement ce qui surdétermine le vécu de souffrance que l’on y repère, ce refoulé ne porte pas sur une fantasmatique liée à un événement extérieur à l’institution, mais se rattache à une mort réelle dans l’histoire même de l’institution... la répétition, dans l’actuel, du décès inaugural, dans des circonstances fort proches, achevant de conférer à cette situation sa charge traumatique (tableau, cas [3]).

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Tableau 23 : Différents types de situations d’actualisation du processus

L’ébranlement des organisateurs : Le quatrième et dernier cas de figure, quant à lui, se distingue nettement des deux autres. Aux Quatre-Vents, la nature même du refoulé originaire n’a pas été mise en avant, du fait de la mobilisation du processus ici décrit, non pas au moment de la fondation de l’institution, mais de celui d’une réhabilitation... opération pouvant relever d’une re-fondation, tout au moins au niveau imaginaire, selon ce que l’analyse nous a en révélé. Dans cette situation, c’est la nature même des organisateurs inconscients qui est passée au premier plan, du fait de l’ébranlement de l’infrastructure imaginaire de l’institution (Fustier P., 1987), opérée par le biais de l’architecture et des modifications du projet d’établissement, dans le profil des résidents reçus notamment (tableau, cas [4]).

Dans les cas [1] et [4], on notera que c’est essentiellement la nature des organisateurs inconscients dans ce qu’ils ont d’absolu dans la structuration des liens soignants-soignés, qui passe au premier plan :

  • L’organisation sur le mode de l’Imago maternelle archaïque : Montplaisant [1]

  • L’irruption des fantasmes de séduction et de scène primitive : Les Quatre-Vents [4]

Dans les deux autres, c’est la place d’un événement traumatique réel venant faire écho au refoulé originaire qui prédomine :

  • Mort réelle de nature ’exogène’ comme fantasme refoulé à l’origine : Les Montaines [2]

  • Mort réelle de nature ’endogène’ refoulée puis répétée dans l’actuel : Saint-Jean-Bonnefonds [3]

Nous avons pu voir qu’entre ces deux types de situations, la souffrance psychique n’était pas de la même intensité, les angoisses de mort faisant écho au refoulé originaire et l’imaginaire se trouvant mobilisés de façon plus violente dans la figuration qu’en livrent les groupes dans le deuxième cas, alors que dans le premier, ce sont les caractéristiques de l’organisation inconsciente du lien qui prédominent, dans leurs aspects traumatiques mais aussi leur dimension défensive.

Ces quelques réflexions nous invitent donc, pour clore cette partie de synthèse sur la discussion de nos hypothèses, à orienter notre bilan sur les ouvertures qu’elles nous permettent d’envisager.