10.1 Entre Clinique et Architecture : de l’A-Subjectif

S’étant tout particulièrement intéressé à la question de la transmission psychique inconsciente, A.Ciccone attire notre attention sur le fait qu’ « on ne transfère jamais par hasard : le dépositaire de la projection, ou des éprouvés transférés, n’est jamais totalement innocent de ce dont il hérite » (1999, p. 168, s/a). La transmission de contenus inconscients repose ainsi sur des conditions particulières de/dans l’intersubjectivité, la transsubjectivité, l’intergénérationnel, etc. pour que s’opère cet échange ou ce partage de fantasmes et d’éprouvés.

Notre clinique, si elle a bien mis en lumière un tel effet de transmission et de résonance fantasmatiques, n’épuise cependant pas les questions que soulève pareil processus. Le terrain de rencontre choisi pour l’étudier, dans les conséquences qui en découlent dans l’actuel et auprès des équipes, explique pour partie ces limites. Cependant, cela n’interdit pas, avec les réserves nécessaires, de s’interroger plus avant sur ce qui se joue ici, à la croisée de la clinique et de l’architecture...

L’existence d’un même désir inconscient de meurtre à l’égard du handicapé chez les fondateurs et chez les équipes soignantes et éducatives, que la clinique a pleinement mis en lumière, pourrait a priori favoriser l’émergence d’une alliance inconsciente portant sur ce désir, et les moyens permettant de s’en défendre.

Mais la question se pose, non pas tant de la transmission de ces contenus inconscients, mais de la voie mobilisée : celle de l’architecture, mise en position d’intermédiaire spatial et temporel – car la fixation qui en est faite, on l’a vu, résiste au temps, les contenus déposés n’y dépérissant pas. Si ceci explique le destin du retour brut des éprouvés angoissants et du désir de meurtre qui les a originés, il nous faut envisager cependant l’effet de reprise – involontaire et souvent à leur insu – à leur compte de ceux-ci par les membres de l’équipe, correspondant à leur désincrustation de la réalité matérielle dans laquelle ils avaient été ajournés. Nous avons proposé de voir que la dimension spatiale remplirait ici une simple fonction de contention, alors même que – peut être ? – les fondateurs lui attribueraient inconsciem-ment, une fonction de contenance et de conteneur (Kaës R., 1976b) attendant d’elle, sur un mode magique, qu’elle remplisse le rôle d’une analogique fonction α.

Or, il est clair maintenant que si ce désir, de même que la culpabilité et les angoisses qui lui sont inhérentes, se trouve accueilli, fixé et figuré dans la dimension matérielle de l’institution, cela ne lui promet pas pour autant le destin d’un traitement quelconque – traitement de nature psychique, s’entend. Il ne s’agit bien là que d’une immobilisation plus ou moins durable qui n’en conditionne aucunement l’élaboration... ce qui n’est pas pour nous étonner, tout travail sur des productions psychiques, et donc celles susceptibles d’engendrer de la souffrance, ne pouvant s’engager que sur l’un – au moins – des divers registres de la réalité psychique, comme l’a bien montré J.Guillaumin (1979) : scène intrapsychique, intersubjective et/ou institutionnelle, et plus encore dans leur mise en tension. En fin de compte, c’est bien ce transit par l’a-subjectif qui demande à être exploré plus avant.