10.2 Du Psychique à l’Architectural : le Trouble de la fondation

10.2.1 Une équipe de traîtres et de bâtards

L’ensemble du développement qui nous a conduits jusqu’ici, et principalement ce qu’a mis en avant l’examen de la première sous-hypothèse, nous pousse à envisager la souffrance psychique décelable en arrière-fond des contenus imaginaires actuels portant sur l’architecture et le fonctionnement de l’institution, comme la manifestation possible d’un trouble de la fondation et de la fonction instituante, au sens où l’envisage R.Kaës (1987, 1996a).

En effet, quand celui-ci fait remarquer que la plupart des troubles survenant dans une institution « peuvent être rapportés aux défaillances des formations contractuelles impliquées dans la fonction instituante » et que ces défaillances « se manifestent par excès ou par défaut, ou par inappropriation » (1987, p. 40), on ne peut que rencontrer son point de vue, au regard du matériel sur lequel nous nous sommes appuyés. Les discours tenus dans ces M.A.S., que se soit sur le registre manifeste aussi bien que latent, nous ont tous alertés sur le rapport très particulier qui semble s’être instauré entre les soignants d’aujourd’hui et les fondateurs d’hier, et sur la faille qui lui semble coextensive. Les premiers « ne se sentent pas porteurs de l’histoire qui les a précédés », ne « disposent pas d’un projet d’établissement » pour guider leur action... P.Fustier dirait sans aucun doute ici, que nos équipes sont en pleine de crise de légitimité, formulant en ces termes ce que nos soignants semblent éprouver : « sommes-nous dans la lignée, dans la lignée vraie issue de nos ancêtres ou sommes-nous des bâtards dont l’origine est perdure ? »... « sommes-nous fidèles à ce qui a été, ou sommes-nous traîtres à l’intention des origines ? » (1999, p. 7).

Or cette rupture qui semble caractériser le temps de la fondation de ces institutions, entre préhistoire et histoire de la M.A.S. n’est pas sans poser question, au regard du matériel sur lequel nous avons jusqu’ici travaillé.

En effet, du désir de meurtre comme refoulé originaire il semble bien être trop question aujourd’hui pour pouvoir envisager sereinement une commune alliance entre fondateurs et soignants pour le rendre mutique. De plus, le fonctionnement fusionnel si souvent décrié par les professionnels, le sentiment d’inquiétante étrangeté qui les habite parfois, ne les amèneraient-il pas à s’éprouver inconsciemment comme de véritables bâtards, à l’image de ces résidents, monstres fantasmés comme le produit d’une scène primitive coupable « n’importe où, n’importe quand »... avec n’importe qui – quoi ? – comme nous le disait un directeur ?

Dans les questions posées de cette lignée et de cette légitimité, la faille dans la continuité de l’histoire institutionnelle par rapport à la fondation semble grandement convoquée. « Une institution nouvelle ne peut se passer de l’illusion qu’elle est novatrice et conquérante. Les soignants d’un centre de soin se recrutent sur l’espoir de participer à cette aventure », nous dit R.Kaës (1987, p. 40). Il importe pour nous de souligner ce qui semble tacite dans cette proposition et qui mérite d’être énoncé, à la lumière de notre clinique : ces deux conditions doivent être simultanément remplies. Les soignants, tout comme l’institution se doivent d’être traversés par cette même illusion... peut-être d’autant plus que le lien entre fondateurs et acteurs actuels se trouve être particulièrement ténu. Ainsi en va-t-il des M.A.S. dont la plupart – toutes, pour celles qui nous occupent – ont été fondées par des groupes dont les membres n’en assurent pas le fonctionnement.

Dès lors, place serait faite pour que les défaillances contractuelles voient le jour. Car dans cette disjonction, comment s’assurer de la pérennité des termes de l’alliance inaugurale, si ceux qui doivent aujourd’hui en assurer le maintien n’y étaient point conviés, à l’origine ?