10.2.2.1 D’un contrat narcissique rompu à un pacte narcissique sans cocontractant

Nous avons vu, suite aux travaux d’A.Ciccone (1999), que l’intense blessure narcissique causée par la confrontation au handicap se révèle essentiellement dans ses effets de rupture du contrat narcissique, dans la filiation parents / enfants. Pour notre part, nous avons proposé de mettre l’accent sur une rupture de ce même contrat, qui lui est coextensive : celle provoquée par le rejet de l’enfant handicapé par le groupe social. R.Kaës, sur la base des travaux de P.Aulagnier (1975), insiste à cet égard, sur le fait que si l’enfant est « porteur d’une place dans un ensemble [...], pour assurer cette continuité, l’ensemble doit à son tour investir narcissiquement cet élément nouveau » (1989, p. 35). Mais, en complément de cette reconnaissance de l’enfant par le groupe social, l’auteur écrit, ailleurs, que se trouve au même titre requise l’assurance d’un « narcissisme parental étayé sur celui du groupe et de la société » (1998, p. 56).

Lors de la venue au monde d’un enfant handicapé, le contrat narcissique dont il fai(sai)t l’objet semble donc menacé de rupture, de toutes parts. A cet égard, il nous a semblé opportun, au vu de la clinique et des indices réels propres à l’histoire de ces institutions, de présenter le projet de fondation d’une M.A.S. comme une tentative d’échapper à la réactivation de la déception originaire (Ciccone A., 1999), par la création – la fondation, serait plus juste – d’une nouvelle communauté – utopique – d’accueil de cet enfant, communauté dans laquelle le contrat narcissique initialement rompu pourrait trouver enfin un autre destin. Or, nous n’avons pu que constater l’absence des membres de ce groupe – la communauté thérapeutique des soignants – lors de la fondation. Aussi, il nous appartient de penser qu’ils ne peuvent qu’être partie prenante d’un contrat dévoyé, dont les termes ont été fixés par les seuls fondateurs : acceptation inconditionnelle de l’enfant, obligation de ’réparation perpétuelle’, prise en charge sur le mode de l’imago maternelle pleinement comblante... autant de caractéristiques repérées dans la clinique et l’architecture, donc semble-t-il puissamment figés dans les murs mêmes de l’institution, le projet utopique trouvant dans l’espace réel son meilleur ancrage. R.Kaës, afin de spécifier ce type particulier de construction inconsciente par rapport au contrat narcissique, propose d’employer le terme de pacte narcissique (1993) dans lequel il voit, a contrario de la participation consensuelle – quand bien même serait-elle éminemment inconsciente – que requiert le contrat narcissique pour son efficace, une véritable paix imposée. « Le pacte contient et transmet de la violence. Le pacte narcissique désignerait ainsi une assignation univoque et mutuelle à un emplacement de parfaite coïncidence narcissique : cet emplacement ne supportera aucun écart, car le moindre écart décolmaterait une ouverture béante » (1993, pp. 274-275, s/n).

La violence imposée aux soignants ne viendrait-elle pas du fait que ces derniers seraient en ce sens assignés à ne reconnaître que l’enfant merveilleux à travers l’enfant réel que les parents et fondateurs leur imposent pourtant de réparer, au même titre, à cette occasion, que leur blessure narcissique ? Or, si « le pacte dénégatif apparaît, nous dit R.Kaës, comme la contreface et le complément du contrat narcissique » (1989a, p. 35), il en va de même du pacte narcissique, dont l’auteur nous dit également « qu’il se double [...] nécessairement d’un pacte dénégatif » (1993, p. 274).

Que dire dès lors de l’efficace de ce dernier, signé sur la base d’un pacte narcissique passé à l’origine sans les principaux cocontractants, à qui échoit habituellement la tâche d’en assurer l’application ?