10.2.2.3 Quelle place pour les soignants dans l’alliance inconsciente qui les précède ?

On sait pertinemment que toutes les alliances inconscientes, et le contrat narcissique en est une bonne illustration, ne nous sont pas toujours contemporaines : certaines nous précèdent, dans lesquelles se trouve inscrite, comme en creux, la place qu’il nous incombera d’y prendre. L’absence des soignants dans le temps de la fondation comme co-signataires du pacte ne peut donc suffire à nos velléités d’explication.

Aucun des soignants que nous avons rencontrés, aucun des directeurs, ne nous ont laissé de doute quant à la connaissance plus ou moins consciente qu’ils avaient de l’omniprésence écrasante du désir inconscient de meurtre des fondateurs à l’égard des résidents dont ils ont la charge. Pour éclairer cet échec du refoulement à maintenir ce désir dans les limbes inconscientes de l’alliance inaugurale, nous serions assez enclins à voir dans cette connaissance au moins préconsciente du contenu du refoulé originaire chez les soignants, les bases mêmes de l’impossibilité pour eux de rejoindre les fondateurs dans leur pacte ; cela ne nécessiterait-il pas de reconnaître en eux la présence des mêmes voeux de mort ? Bien plus, dans le cas où cette alliance s’avérerait possible, comment être assuré de méconnaître l’objet mortifère de ce lien, face au constat de l’achoppement du pacte inaugural à être tenu et maintenu refoulé ? Dès lors, puisque cette place, pour un sujet à qui l’alliance préexiste, « ne pourra être tenue que pour autant qu’à son tour il souscrira aux termes de l’alliance prescrite pour lui, mais aussi pour tenir l’ensemble » (ibid., s/n), pourquoi ne pas refuser de s’y aliéner, d’autant plus, rappelons-le, que les soignants eux-mêmes feraient l’objet d’une assignation violente par l’effet d’un pacte narcissique ?

Aussi, on pourrait penser que le groupe de soignants viendrait signer un autre pacte dénégatif, comportant paradoxalement les mêmes termes que celui des fondateurs, mais visant à s’y opposer. Du fait de la violence de l’assignation produite sous le coup du pacte narcissique inaugural, par les fondateurs à l’égard des soignants, leur enjoignant de se lier à eux dans leur commun désir de meurtre à l’égard de la personne handicapée, et du fait des signes objectifs rendant presque caduc le pacte visant à ce que pareil projet demeure refoulé, les soignants ne feraient-ils pas alliance autour de leur propre désir de meurtre pour qu’il demeure inconscient, étayé en cela par la seule reconnaissance de celui des fondateurs ?

’ Ceux qui veulent tuer le handicapé (ce n’est pas nous) ce sont les fondateurs ’

Précisons ici que le pacte des soignants porterait bien sur ce que nous avons mis entre parenthèse (isolé ainsi de l’énoncé général pour éviter d’y reconnaître dans la formulation l’oeuvre d’une dénégation, et non du refoulement) ; mais le refoulement du ’(ce n’est pas nous)’ = ’notre désir de meurtre à nous’ ne semble pouvoir tenir sa force que de la tonitruante reconnaissance de ce qui l’enserre : les voeux de mort qui animent les fondateurs. La clinique nous incite fortement à pencher en faveur de cette idée : celle des groupes tout autant que celle des entretiens renvoient à cette formulation, les parenthèses posées ici s’avérant dans leur discours maintenues puissamment fermées.