10.2.2.4 Ruptures dans la préhistoire, rupture dans l’alliance

Tout ce passerait donc comme si, dans la coupure entre préhistoire et histoire de l’institution s’inscrivait une impossible participation des légataires à l’alliance de leurs ancêtres, alors même qu’ils se rencontrent dans l’institution autour d’un même désir, et d’une même défense contre ce désir.

Il semble donc que se soit précisément dans le fait d’avoir fait alliance en dehors et contre les soignants, en leur imposant le pacte narcissique, que sa contre-face, le pacte dénégatif, n’a pu tenir sous le coup de la violence qui leur était imposée. Dans la rupture dans l’histoire de l’alliance, semblerait ainsi inscrite la rupture de l’alliance elle-même. Mais, pour donner toute sa dimension à une telle défaillance de la fonction instituante, ne devons-nous pas nous rappeler de ce que nous disions, au tout début de ce parcours de réflexion ? Le pacte narcissique, que nous postulons être au fondement du projet d’instituer, ne naît-il pas d’une autre rupture : celle du contrat narcissique, du côté du groupe social ?

On pourrait donc comprendre la rupture dans l’alliance inconsciente organisatrice de l’institution, comme l’aboutissement de multiples effets violents de rupture dans la préhistoire de celle-ci (figure ci-dessous).

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Figure 33 : Ruptures dans la préhistoire de la M.A.S. et impossible alliance

On verrait bien dans cette collusion ce qu’elle peut générer de difficultés pour l’équipe à être sans cesse confrontée au désir de meurtre de l’autre, tout en étant tenue de ne pas y reconnaître le leur... alors même que le pacte narcissique des fondateurs leur imposerait de prendre en charge leurs voeux de mort, pour s’en trouver eux-mêmes libérés. On rencontrerait là la position de P.Fustier qui, analysant les fondements sur lesquels reposent la création des lieux de vie, dont nous avons vu précédemment le rapport étroit qui se tissait avec les M.A.S., nous dit que c’est « le désir du ou des fondateurs [qui] cherche ainsi à se réaliser dans l’invention d’un lieu de vie ; cela veut dire que ce dernier est mal différencié du fondateur, puisque sa vocation serait d’être l’incarnation de son désir » (1999, p. 33). L’omniprésence de celui-ci ne pourrait alors, dans le cas des institutions qui nous occupent où l’alliance inconsciente fondatrice ne peut perdurer dans l’histoire, que mener à un vécu de souffrance tel que nous l’avons rencontré dans certains de nos cas cliniques.

Pour avoir, à travers cette hypothèse, qui semble étayée par de tangibles indices présents dans notre matériel, proposé les premiers éléments d’une explicitation du difficile maintien de l’oeuvre du refoulement originaire fondateur de l’institution, nous n’avons là effectué qu’une partie de notre travail. Mises en avant, les défaillances inaugurales dans la fonction d’instituer ne permettent pas d’épuiser l’argumentaire susceptible de rendre compte de leurs effets dans la prise en charge, alors que nous les avons identifiés comme fixés dans la dimension matérielle. Quand bien même y seraient-ils figurés, cela suffirait-il pour générer tant de souffrance dans les liens ?

L’utopie, pour poursuivre notre réflexion, ne nous révèle-t-elle pas une clé d’intelligibilité de ce qui, de cette origine dans une fondation défaillante, viendrait se jouer aujourd’hui ? L’histoire, la temporalité, ne se trouve-t-elle pas à jamais figées dans l’éternité par la pérennité qui touche sa dimension spatiale ? Afin de comprendre un tel mécanisme, dans les effets qui l’accompagnent dans la prise en charge, nous ne pouvons que nous interroger sur la place que tient la dimension spatiale à la croisée de la clinique et de l’architecture. Pour reconnaître à la souffrance psychique éprouvée dans l’institution de multiples origines, R.Kaës n’en cite pas moins deux qui nous semblent devoir être mises en lien dans le cas des M.A.S. : celle associée à un trouble de la fondation et de la fonction instituante – que nous venons d’examiner – et celle relative aux entraves à la réalisation de sa tâche primaire. Cette dernière, on l’a vu, se trouve puissamment organisée sur la dimension spatiale. Au croisement des deux registres que nous interrogeons dans ce chapitre, de l’architectural au psychique, nous somme alors enclins à nous tourner vers la problématique du cadre.