10.3.1 Des dispositifs thérapeutiques aux prises avec la dimension spatiale

10.3.1.1 L’espace matériel de la prise en charge... à la recherche d’un cadre

D.Cohou attire notre attention sur le fait que « tout dispositif [thérapeutique] prend place dans un cadre et y est étroitement lié. [...] Pour construire un dispositif solide, il faut l’arrimer au cadre, en tenant compte d’organisateurs essentiels » (1999, p. 77, s/n). Or, nous avons vu combien la dimension spatiale se trouve surdéterminée dans la prise en charge des résidents en M.A.S., l’unité de lieu s’avérant à cet égard bien souvent être une entrave à son organisation. Au nombre de ces organisateurs essentiels du cadre, l’auteur en compte deux fondamentaux, dont on peut voir, dans les M.A.S., que la composante spatiale est loin d’en étayer la fonction structurante.

Le premier organisateur basal, selon le terme de D.Cohou, se « construit à partir du lien entre l’instance médicale et l’instance administrative » (ibid., p. 78), ou, plus largement dans le cadre d’institutions dans le champs médico-social, entre instance médico-édicative et instance administrative. Du côté de l’architecture, que nous a-t-il été donné de voir ? Le déni massif de la réalité de la prise en charge s’exprime ouvertement dans l’assise spatiale de l’institution, au mieux par une inadaptation des installations, au pire par leur inexistence totale... attitudes qui toutes deux traduisent la posture de déni 104 à l’égard de l’instance médico-éducative dans les projets. Une M.A.S. présente même la particularité de ne présenter aucune signalétique – désignation des locaux, nom des personnes, etc. – dans le pôle médico-éducatif, a contrario du pôle administratif. Les soubassements inconscients des textes de l’UNAPEI de 1979 et 1995 ne nous démentent pas sur ce point.

Un autre organisateur, pointé par l’auteur, qui relève a priori plus du fonctionnement que de l’architecture, repose sur les conditions de mise en place de l’analyse intertransférentielle (définie par R.Kaës, 1976b), sur la nécessité de mettre en travail au sein du groupe de thérapeutes et de l’équipe, se que font vivre les relations avec les patients. Or, s’il « n’y a pas de lien entre les intervenants, et dans l’équipe, c’est parce qu’il y a eu une volonté de séparation au départ » nous disait un directeur ; en effet, « on s’est arrangé pour qu’il n’y ait jamais de croisement dans le temps, donc pas de temps de réflexion ». Ainsi, « personne, dans la M.A.S. n’a de temps plein – sauf le kiné, au départ, mais il n’est jamais venu parce qu’il n’y avait pas de salle de kinésithérapie – et tous les temps de présence sont bien séparés... tout est bloqué par l’espace : on n’a pas de place, on n’a pas de locaux... c’est polyvalent alors tout le monde passe à son tour ». La dimension spatiale semble bien être là encore l’obstacle majeur mis en place à l’origine pour éviter l’historicisation du soin, et c’est bien du côté de la relation soignants-soignés que se placent les enjeux : « tout est cloisonné, on ne peut pas mettre en place de temps de liaison, de coordination possible sur la personne handicapée, et sur ce qu’on vit ».

De ces organisateurs, l’auteur nous dit que « le cadre en permet l’inscription, garantit le sens, la cohérence » (Cohou D, 1999, p. 83)... autant de fonctions qui semblent mises à mal dans et par la dimension spatiale, et parfois – ce que nous révèle l’examen de notre deuxième point – à travers la dimension temporelle qu’elle infléchit.

En complément de ce que nous venons de voir, et prenant la question de la confusion qui peut s’instaurer dans le dispositif thérapeutique par le biais de l’espace matériel comme axe de transition, on peut rappeler combien nos groupes de recherche ont mis l’accent sur le chaos que cette impossible gestion de l’espace pouvait faire naître au sein de la prise en charge : on déplorait par exemple à Saint-Jean-Bonnefonds la « confusion entre les différentes activités, du fait du manque d’espace ». On donnait l’exemple d’une résidente qui confondait groupe thérapeutique et visite de la famille dans le fait que le même lieu leur sert de cadre : « ‘pour les résidents qui ont du mal à se repérer, qui ont du mal à faire la part des choses pour plein de raisons, ça entretient quelque chose de l’ordre du fouillis, de la confusion complète ». « Il y a des activités quand même qui sont plus chargées de sens, poursuit-elle, où on aborde des thèmes, des sujets, qui sont plus délicats, et je trouve que là c’est important d’avoir un lieu qui soit adapté, et qui ne soit pas le lieu où on fait tout ’ ! ». Les exemples de cette nature, on l’a vu, sont nombreux à émailler la clinique. « Cadre et dispositif étant interdépendants, ce qui bouscule l’un déstabilise l’autre » (ibid., p. 85), et, en l’occurrence, les deux étant liés par une dimension spatiale commune fort peu étayante, voire déstructurante, la situation paraît particulièrement dommageable au bon déroulement du processus de prise en charge.

Dans de telles conditions, n’est-il pas paradoxal d’observer un report massif sur la dimension spatiale dans le fonctionnement de la M.A.S., alors même que c’est en elle que reposent les signes les plus patents de sa fonction désorganisatrice de/dans la prise en charge ? Ce le serait, effectivement, si nous ne gardions pas à l’esprit que l’utopie travaille ici en profondeur le projet de ces établissements... tout le problème étant que les M.A.S. en concrétisent les effets aliénants et peut-être, pire que tout, ne permettraient pas de s’y soustraire.

Notes
104.

On se souviendra des constats formulés par les directeurs concernant l’architecture de la M.A.S., et rapportés dans le précédent chapitre.