10.3.2 La dimension spatiale du cadre comme lieu a-subjectif de transmission

10.3.2.1 Le cadre : un lieu d’accueil des éléments symbiotiques

Si J.Bleger insiste, dans son étude du cadre de la cure 105, sur le fait que celui-ci est lui-même ’ le récepteur de la symbiose, et que cette dernière n’apparaît pas comme présente dans le processus analytique lui même » (1966, p. 260), il n’en opère pas moins le transfert de ce modèle dans le champ des relations intersubjectives et de l’institution (1971). D’autres auteurs, s’appuyant en partie sur ses travaux reconnaissent au cadre institutionnel cette fonction fondamentale d’être dépositaire, selon la formule de J.Bleger, « de la partie psychotique de la personnalité, c’est-à-dire de la partie non-différenciée et non-dissoute des liens symbiotiques primitifs » (ibid., p. 263).

Ainsi, D.Mellier reconnaît à sa suite que « l’institution héberge des parties non-moi de l’individu » (1998, p. 26) ; mais il va plus loin, ce en quoi nous lui sommes redevable d’étayer l’hypothèse que nous formulons ici, en précisant que « le cadre matériel d’un établissement est particulièrement le lieu où s’opèrent ces sortes d’identités adhésives » (ibid., p. 27, s/n). Selon lui, et dans la même ligne de pensée que J.Bleger, ces parties restent muettes tant que le cadre, et particulièrement son support matériel, reste stable. Dans ses travaux, visant la conceptualisation d’un appareil psychique d’équipe (Mellier D., 1994), s’il note que « le cadre matériel n’a pas fait l’objet d’une théorisation en tant que telle » (1994, p. 81), l’auteur n’en convient pas moins que cette dimension matérielle du cadre se trouve être éminemment sollicitée dans la fonction de contention de contenus très archaïques ingérables qu’il s’agit dès lors d’y déposer : « je parlerai de ’la composante narcissique ou psychotique’ du cadre institutionnel pour désigner ce phénomène » (ibid., p. 77, s/a) nous dit-il. D.Mellier entend par là opérer une distinction avec la fonction contenante qui, elle, repose sur les composantes symboliques du cadre institutionnel. La part la plus indifférenciée et symbiotique des liens trouve ainsi, selon lui, dans « tous les repères spatiaux et temporels de l’institution, [dans] son cadre matériel » (ibid., p. 76, s/a) son lieu d’élection.

La contenance assurée par le cadre, ce dernier n’étant dans ses effets de contention que lieu de dépôt des éléments psychotiques et symbiotiques, repose alors sur ce que R.Kaës appelle la fonction conteneur, qui « permet l’utilisation du cadre [et...] fournit le support actif, transformateur, aux projections imaginaires » (1979, p. 69). Or, l’imaginaire des soignants concernant l’architecture et le fonctionnement – consigne dans nos groupes Photolangage© – est précisément ce dont nous avons pu acquérir la meilleure connaissance au cours de ce travail. Et nous avons montré qu’il s’avère, au vu de notre clinique, fortement infiltré de cette part symbiotique, qui devrait, selon les termes de J.Bleger, rester dans l’indicible du cadre. Les ratés de la fonction conteneur serait ainsi perceptibles, puisque « la propriété fondamentale du conteneur est de rendre possibles, tolérables et fructueuses les projections imaginaires » (ibid.)... autant de qualificatifs que notre clinique nous fait accueillir ici avec prudence.

Tentons alors de rendre compte de ce qui serait à l’origine de cette défaillance du cadre dans les M.A.S. ici étudiées.

Notes
105.

Le dispositif spatial de la cure, partie intégrante du cadre dans lequel se développe le processus analytique, comporte entre autres caracté-ristiques, de réduire les stimulations d’origine exogène, d’abaisser la charge excitante ou séductrice de la relation, et de figurer la dissymétrie de positions entre analyste et analysant, comme le fait remarquer R.Roussillon (1995).

Si l’on s’autorisait le rapprochement avec la composante spatiale du cadre institutionnel de nos établissements, quand bien même l’objet ne serait pas d’y assurer le déploiement d’un processus analytique selon le dispositif princeps de la cure-type, il est manifeste que les M.A.S. mettent à mal la dissymétrie de position dans le questionnement des limites soignants-soignés et, loin de permettre l’abaissement des sources d’excitations exogènes, supportent des mouvements de débordement pulsionnel et de déploiement d’une fantasmatisation source d’angoisse. Notre clinique en a mis en avant quelques illustrations. Comment le processus thérapeutique, voire la prise en charge quotidienne dans les activités occupationnelles pourrait-elle dès lors s’abstraire de ce contexte en grande partie déterminé à l’origine de l’institution ?