10.3.2.2 L’avènement du processus ou le retour du refoulé

Il apparaît donc, pour qu’adviennent les fonctions de contention et de conteneur du cadre, pour que s’établisse un processus thérapeutique vivant, que les soignants doivent trouver (en partie) dans la dimension spatiale du cadre un lieu d’accueil de la part symbiotique du lien soignant/soigné. Or, saturé qu’elle est déjà de celle du lien fondateur/résident, celle-ci ne peut vraisemblablement plus l’accueillir. Placer les éléments archaïques de la relation soignante dans le cadre reviendrait donc à opérer un échange, à désincruster la part symbiotique et les éléments psychotiques du lien antérieur fondateur/résident. Par cette opération, les composantes fusionnelles du lien thérapeutique pourraient – normalement – intégrer la dimension spatiale du cadre dont c’est la place et la fonction. Cependant, par cette même opération, se trouverait réintroduit dans le processus thérapeutique les éléments originaires symbiotiques du temps de la fondation.

L’avènement du processus thérapeutique supposerait – imposerait – le retour du refoulé originaire, opérant en regard de l’incrustation inaugurale, un mouvement de ’désincrustation’ des contenus originels. Un travail d’élaboration de cette problématique semblerait en être le meilleur vecteur ; mais la pratique montre malheureusement que le procédé est plus sourd, car inconscient, et plus mortifère, s’opérant par un effet de retour dans la relation, sans décontamination préalable, retour paralysant la tâche et cristallisant dans le quotidien de l’institution ce qui l’a originée : répétition, angoisses archaïques, pulsion de mort... la part psychotique du groupe instituant ’encombre’ donc déjà les murs. Instaurer le cadre, dans l’urgence du quotidien, et sans le recul et le recours de la pensée, pose donc la question du retour de ce ’passager clandestin’ dans la relation. Si, comme c’est le plus souvent le cas semble-t-il, le mode de gestion psychique du traumatisme adopté par les fondateurs à l’origine du projet, reste en deçà des différences fondamentales (vivant/non-vivant, humain/non-humain, non différenciation des corps et des psychés, des sexes et des générations), on comprendrait alors le risque de la matérialisation d’une telle organisation psychotique dans le projet architectural et de son retour dans le processus. Or, tout ne semble pas si simple : la compulsion à répéter et reproduire chez les soignants les modalités défensives incrustées (déni de la réalité de la prise en charge, refoulement du désir inconscient de meurtre...) donc à maintenir enkysté le symbiotique d’origine s’impose comme une forte injonction... comme si les fondateurs avaient mis en oeuvre les moyens nécessaires à ce que le secret ne soit jamais révélé, qu’il ne viennent jamais, par un effet de retour violent, à être formulé : « on veut tuer cet enfant ». Maintenant, seulement, on va pouvoir cerner la source d’un tel échec (figure ci-contre).

En effet, et pour nous résumer sur ce point, on peut envisager l’alternative qui s’impose aux soignants dès lors qu’ils voudraient fonctionner sur un mode de relation moins symbiotique, pour échapper au vécu d’inquiétante étrangeté généré par l’intrusion de cet autre monstrueux présent en soi, dans l’absence de distance psychique : la libidinalisation de la relation, du fait de l’intimité physique qui unit soignants et soignés, peut en effet aboutir à l’éveil d’un désir sexuel coupable et angoissant, dès lors que les premiers s’autoriseraient à reconnaître les seconds comme sujets porteurs de désirs – notre clinique en témoigne. Dans les deux cas, le désir inconscient de meurtre reste présent puisque fait violence toute reconnaissance du monstre en soi – dans l’inquiétante familiarité, comme dans le coït innommable. Que faire de ce désir, et du lien symbiotique qui empêche tout écart ? Face au choix qui s’offre aux soignants, de faire dans le processus avec leur propre part d’éléments psychotiques ou de faire avec celle des fondateurs, l’échec de l’alliance inaugurale ne peut qu’apparaître manifeste.

Ne vaut-il pas mieux en effet, fixer dans le cadre, pour ne pas le reconnaître comme provenant de soi et ainsi mieux s’en préserver, son propre désir de meurtre, quand bien même on se sentirait envahi par celui des fondateurs... ?

‘’Ceux qui veulent tuer le handicapé (ce n’est pas nous) ce sont les fondateurs’... effectivement.’

Dans un tel contexte, s’imposerait certainement l’élaboration de cette part archaïque issue des fondateurs, du temps de la fondation de l’institution, pour apurer la dimension spatiale du cadre et lui permettre de recouvrer sa fonction d’accueil de la part symbiotique du lien thérapeutique, laissant ainsi advenir dans ce dernier le processus vivant de la prise en charge. En attendant, il semble, comme l’ont montré groupes et directeurs, qu’il faille rester confronté à un imaginaire renvoyant constamment à « des espaces morts, clôturés, contrôlés ; le temps est aussi mort, celui du ’déjà-changé’ ; l’absolutisation de la cohérence du système identifie contenant et contenu, fait de l’utopie un cadre pur, un non-processus » (Kaës R., 1978, p. 878, s/a).

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Figure 34 : Le retour du refoulé via le cadre, et sa composante spatiale