Introduction

Cette thèse est consacrée au plateau anatolien de la fin de l'empire hittite aux invasions cimmériennes, du XIIe au VIIe siècle avant J.-C. Les limites du plateau anatolien, ou plutôt, nous le verrons, des plateaux anatoliens, seront examinées dans le premier chapitre portant sur la géographie 1 . Nous traitons du premier âge du Fer sans aborder les raisons de la chute de l'empire ni des invasions cimmériennes. Entre le XIIe et le VIIe siècle, on peut distinguer deux phases : les périodes obscures (XIIe-Xe siècles) et l'apparition de plusieurs royaumes ou entités culturelles (IXe-VIIIe siècles). C'est la problématique de ces deux périodes et leur corrélation qui fait l'objet de notre travail. Les données issues de fouilles sont très abondantes, ce qui rend difficile l'établissement de liens entre les sites ; très peu de recherches, ou des travaux très généralistes 2 , proposent un croisement des données. Les rapports de fouilles sont très nombreux, mais on ne rencontre pas souvent des réflexions synthétiques. Les articles portant sur l'invasion du plateau par les Phrygiens, leur assimilation avec les Mushki, le nomadisme ou la disparition des populations entre le XIIe et le IXe siècle sont nombreux, mais ont tendance à être répétitifs.

Nous avons tenté de déterminer la nature des entités culturelles en présence sur le plateau, en évoquant leurs cultures matérielles ; nous avons dû établir les similitudes et les différences entre les sites 3 pour tenter de délimiter des régions. Ce travail, rendu difficile par la multiplicité des données et leur absence de relation, produit souvent un aspect fragmentaire. Les informations juxtaposées, sans corrélation apparente, reflètent l’état actuel de la recherche. Les fouilles sont certes abondantes mais, dans la plupart des cas, les fouilleurs intéressés par les niveaux antérieurs hittites, ont donné des datations floues. Notre période est définie comme post-hittite, phrygienne ou de l’âge du Fer, sans précision de siècle et encore moins d'année. Il existe des exceptions, notamment à Gordion mais, en l’absence de dialogue, des corrélations avec les autres stratigraphies demeurent difficiles. Si ce travail peut donner quelquefois l'impression d'une accumulation de données provenant de publications, sans problématique explicite, ni (souvent) d'interprétation, il rend bien compte, par -là même, de l'état actuel de la recherche.

Le sujet est très vaste tant du point de vue chronologique et géographique que par la variété des aspects qu'il inclut : sources littéraires, architecture de l'habitat, architecture funéraire, sculpture, céramique et petits objets. Chaque partie, parfois même certains paragraphes, serait en mesure de constituer un sujet de thèse et on pourrait considérer que les données sont, ici, rapidement examinées. Même le chapitre concernant la céramique, de par l’abondance des données, ne peut fournir qu’une approche globale que nous avons abondamment étayée par des illustrations. De surcroît, il nous a été impossible de déterminer une chronologie sûre de la céramique à cause des pérennités stylistiques d'une part, et de l’absence de stratigraphie explicite. La céramique ne peut pas être datée sans un contexte. A cet égard, nous aurions voulu présenter, au moins pour la céramique, une vision plus synthétique, utilisable comme référence pour les travaux postérieurs.

Les autres données : architecture, sculpture, petits objets ne sont qu'exceptionnellement datés de façon certaine. La sculpture, en particulier, n’est évoquée que de façon anecdotique dans une thèse fondée sur la collecte d’informations stratifiées et leur interprétation. Les sources écrites compliquent ces interprétations, en obligeant le chercheur à relier plusieurs données issues de  la réalité archéologique à des interprétations de faits historiques (ou présumés tels). Pour établir une synthèse sur la période allant du XIIe au VIIe siècle, il est indispensable d’évoquer plusieurs sources de données afin d'établir des croisements et tenter des interprétations. La période dite obscure est de mieux en mieux connue grâce aux recherches récentes, qui ne se concentrent cependant que sur quelques sites.

Le travail se divise en neuf chapitres portant sur la géographie 4 , l'historique des recherches, les sources écrites, l'architecture de l'habitat et la stratigraphie, l'architecture et les pratiques funéraires, la sculpture monumentale, la céramique, les petits objets, la synthèse et les conclusions. Dès le début des recherches, au XIXe siècle, se pose le problème de la fin de l'Empire hittite et de l'apparition sur le plateau de nouvelles populations. Les indices fiables dont nous disposons sont peu nombreux, ce qui a entraîné un examen répété des mêmes informations sans apport de données nouvelles 5 . Le chapitre traitant des sources écrites inclut les textes classiques, égyptiens, assyriens, bibliques, cunéiformes et hiéroglyphiques hittites, phrygiens. Il tend à réunir l'ensemble des mentions qui servent de base aux théories évoquées par les chercheurs 6 . Les cinq chapitres suivants font le point sur les données archéologiques : l'architecture de l'habitat, l'architecture funéraire, la sculpture monumentale, la céramique et les petits objets. Seules les recherches effectuées sur le site de Gordion apportent des éléments abondants et fiables. Bien des données évoquées ne font que développer le peu de faits vérifiables dont nous disposons, il en va ainsi pour bon nombre des petits objets. L'étude de l'architecture de l'habitat, en l'absence de plans publiés et de datation, sauf à Gordion, pose plus de problèmes qu'elle n'en résout. Nous connaissons encore mal les constructions de ces périodes, faute de pouvoir identifier architecture civile, domestique ou religieuse 7 . L'architecture et les pratiques funéraires sont très mal connues, sauf à Gordion 8 . Les sculptures monumentales, très peu nombreuses, se concentrent dans la partie sud-est du plateau; le peu de données disponibles rend difficile toute conclusion. La datation de la plupart de ces éléments est incertaine et repose essentiellement sur la typologie 9 . Le chapitre sur les productions céramiques était celui sur lequel nous voulions établir une, voire des typologies, pour l'ensemble du plateau anatolien. Cet exercice s'est avéré très difficile par l'abondance de photographies ou de dessins publiés sans contexte stratigraphique. Dans les descriptions de céramique les variantes de couleurs et de pâtes sont tellement diversement nommées, qu'il est très difficile de comparer les sites les uns aux autres. De plus, le problème est aggravé par des centres de production probablement très nombreux, malgré des caractères stylistiques ou techniques communs 10 . Les petits objets sont généralement très peu publiés et sans contexte stratigraphique. L'étude des fibules révèle un certain nombre de similitudes à travers l'ensemble du plateau 11 .

Un certain nombre de questions posées au cours de cette thèse sont reprises dans le dernier chapitre 12 , la plupart restant sans réponse : la période du premier âge du fer est une période de transition qui, de ce fait, pose des problèmes de définition : quand commence-t-elle et quand finit-elle ? Comment la caractériser ? Y-a-t-il plusieurs ensembles culturels ? Comment les appréhender ? Pendant la transition entre l'âge du Bronze et celui du Fer, pourquoi trouvons-nous si peu de traces des populations ? Alors que nous arrivons à mieux les situer, que pouvons-nous en déduire sur le plan économique ? Comment expliquer l'émergence de nouveaux royaumes pleinement constitués au XIe et VIIIe siècles ? Ont-ils un lien avec les royaumes nord-syriens où la royauté a perduré sans interruption ? Quels sont les royaumes et quelles sont les entités culturelles en présence ? La culture d'Alişar correspond-elle à un domaine politique ? Quelles sont leurs limites ? En quoi l'architecture de l'habitat ou la céramique sont-elles représentatives des populations occupant le plateau ?

‘”The goal of archaeology is to recover the past: evidence for the way people lived, what they thought, and who they were. But what we find are objects. These objects are important, and, in the absence of literature, they are all we have. They can easily become the focus of our study _we classify them, analyse them, and evaluate their quality; the study of the objects becomes an end in itself, and often we learn little about the people who made and appreciated them. Sometimes _but rarely_ we are lucky enough to find evidence of the personalities of the people themselves.” 13

Nous avons essayé de répondre à certaines de ces questions en nous référant à cette citation, mais il paraît difficile en l'état actuel de ne pas tenter de classifier, d'analyser ou d'évaluer la qualité des données dont nous disposons car ce travail n'a pas été mené dans une perspective globale. Lorsque nous avons évoqué le sujet de notre thèse avec plusieurs chercheurs travaillant sur des sites du plateau, tous ont convenu que notre travail de collecte et de réunion était indispensable. Aujourd'hui, après cinq ans de recherches, nous considérons que cette étape essentielle nécessiterait un cadre beaucoup plus vaste qu'une thèse. Il nous semble fondamental de pouvoir constituer des groupes d'études avec des archéologues travaillant sur le terrain, afin d'effectuer des comparaisons et de coordonner les différents aspects de la recherche.

Notes
1.

Cf. Chap. 1. Géographie

2.

AKURGAL, 1955. BITTEL, 1976.

3.

Cf. Pl. 1. Carte des sites évoqués. Pl. 2. Carte de répartition des sites.

4.

Cf. Chap. 1. Géographie.

5.

Cf. Chap. 2. Historique des recherches.

6.

Cf. Chap. 3. Sources écrites.

7.

Cf. Chap. 4. Architecture et stratigraphie.

8.

Cf. Chap. 5. Architecture et pratiques funéraires.

9.

Cf. Chap. 6. Sculpture.

10.

Cf. Chap. 7. Céramique.

11.

Cf. Chap. 8. Petits objets.

12.

Cf. Chap. 9. Synthèse et conclusions.

13.

SIMPSON, 1988, 24.