2. 1. 2. Les fouilles

Les fouilles allemandes à Boğazköy commencées en 1906 94 , sous la direction de H. Winckler se poursuivent jusqu’à nos jours sous la direction de J. Seeher. Pendant les premières années, l’intérêt portait essentiellement sur les tablettes et l’architecture hittite, les couches de l’âge du Fer n’intéressant pas tellement les chercheurs. Dans la partie du site appelée Büyükkale, une acropole et une forteresse avec plusieurs couches phrygiennes contiennent au moins cinq types de céramique, fine et grossière, ainsi que des petits objets en bronze et en fer. Aucune corrélation n’a été trouvée entre les objets et les bâtiments. Sous le niveau de l’âge du Fer se rencontraient deux couches hittites détruites par des incendies. Après le premier d’entre eux, les bâtiments furent reconstruits à un niveau légèrement plus élevé. Les chercheurs ont considéré qu’il n’y avait pas de changement culturel entre les deux reconstructions. Après le second sinistre qui a permis la conservation des briques, les pièces ont été comblées par du matériel rapporté pour permettre l’installation phrygienne.

Parallèlement à ces recherches à Boğazköy, H.H. von der Osten va révolutionner l’approche de l’archéologie anatolienne. Il coordonne les fouilles du site d’Alişar, ainsi qu'une prospection avec quelques sondages sur le plateau anatolien dès 1926 95 pour décrire et identifier le plus grand nombre de sites. Une partie des publications présente une approche anthropologique de l’Anatolie: chacun de ces ouvrages contient des photographies des habitants et de leurs coutumes, ainsi que des archéologues au travail. La première année, von der Osten mentionne un relief phrygien à Faharet Çeşme, le site de Kültepe, celui d’(Alaca) Hüyük près de Karahisar. Il signale près d’Alaca une douzaine de grands tumuli dont six sont interprétés comme faisant partie d’un système de signalisation qui couvre toute l’Anatolie. A Karahisar, il indique un autel phrygien constitué d’un banc de pierre avec deux lions accroupis et un escalier qui y mène avec une inscription de deux lignes 96 . Il mentionne aussi un hüyük au sud d’Ankara autour duquel quelques tumuli sont visibles, le site de Gâvurkalesi déjà reconnu par J. Garstang et par Perrot-Guillaume, ainsi que d’autres sites de périodes variées. Au cours des années suivantes, la prospection se poursuit vers l’est en incluant Tokat 97 , puis Malatya 98 et vers le sud-est jusqu’à Tarse 99 . Von der Osten visite les fouilles des tumulus d’Ankara entreprises par Th. Makridi 100 , entreprend des fouilles à Boğazköy et Alaca 101 , et en 1927, prospecte dans la région d’Alişar notamment les sites de Kerkenes Dağ et de Çalapverdi 102 .

Au cours de la première saison à Alişar, en 1926, apparaît dans la tranchée stratigraphique de la céramique de la période “III”, de l’âge du Fer. Cette période est divisée en trois : le début caractérisé par une céramique faite à la main et peinte de motifs géométriques 103 , le milieu marqué par la présence de vases tournés avec des motifs peints de cerfs et de cercles concentriques 104  ; la fin attestée par l’apparition de vases tournés avec des décors peints simples en bandeau 105 ou plus complexes 106 . La période moyenne, quant à elle, témoigne de la première apparition du style dit “d’Alişar “. Cette production à cerfs et cercles concentriques que l’on retrouvera sur plusieurs sites du plateau provient de contextes stratigraphiques très complexes dont la datation est difficile. Les couches et leurs datations ont subi des modifications et des interversions dans les différentes publications, rendant malaisée la compréhension. Il est tout aussi ardu de différencier les productions locales des importations étrangères.

La nouvelle stratigraphie de 1933 propose de nommer le niveau phrygien et médo-perse : niveau V. Post-Empire, de la fin de l’Empire hittite à Alexandre le Grand 107 . L’équipe américaine a entrepris des sondages à Kerkenes Dağ et à Osman Tepe, la prospection a inclus les sites de Kültepe et Arslantepe. La période III, lors du nouvel examen de 1933, est divisée en phase III ancienne et récente, phases IV et V. Le niveau IV, 1500-1200, présente des inscriptions hiéroglyphiques et des tessons probablement hittites 108 . La phase suivante V commence à la fin de l'empire et dure jusqu’à l’arrivée d’Alexandre. Sur le niveau IV, se trouve une couche presque stérile ainsi que quelques murs qui indiqueraient un site de moindre importance. Cette occupation assez longue n’a pas été datée, elle est recouverte par plusieurs couches d’architecture de kerpiç 109 . A l’époque mède, une forteresse est établie sur un des sommets du site.

La dernière publication 110 d’Alişar présente la chronologie qui sera finalement adoptée à la suite des travaux de K. Bittel. La citadelle reconstruite sur les fortifications hittites comporte trois occupations entre le XIIe et le VIIe siècle. Le site n’a pas les caractéristiques d'un grand centre politique ou culturel, pas de palais à reliefs, pas d'entrée monumentale, pas d’objets en métal prestigieux, la céramique fine peinte est le seul vestige de bonne qualité 111 . Le site est une petite ville, un village ou une forteresse d’un seigneur local. La forteresse basse est un enchevêtrement de murs phrygiens, romains et byzantins. Le niveau 4c remonte aux XIe-IXe siècles. Le niveau 4b date des IXe-VIIIe siècles. Le niveau 4a daterait des VIIe-VIe siècles. Ces divisions sont encore utilisées de nos jours. Cette publication permet de croiser les données d’Alişar avec celles issues d’autres sites. La production céramique de ce site est devenue caractéristique d’une période et d’une culture dite d’“Alişar IV“.

Les recherches à Alaca Höyük 112 , déjà mentionné par H. H. von der Osten, ont révélé une couche post-hittite remaniée, située, entre 0 et 2,5 m, où on trouve du matériel de l’âge du Fer mais aussi plus récent, par exemple une pipe ottomane. Le niveau phrygien comprend des fondations de murs en pierre, des restes de murs en pisé, des fusaïoles en os et en pierre, des épingles et des aiguilles en métal et de la céramique. La datation des objets ne se fonde que sur le classement stylistique car la stratigraphie était très bouleversée. Le niveau phrygien ne comprenait qu’une seule couche d’occupation correspondant à une petite ville. Une trentaine de tumuli autour d'Alaca ont été étudiés après la seconde guerre mondiale 113 ; l’un d’eux a fourni une date de 336-323 avant J.-C. Il était difficile de percevoir des traces d’activités des occupants. Les dernières fouilles se situaient à la fin des années 60, elles ont repris depuis quelques années sous la direction de H. Baltacioğlu 114 .

Plusieurs investigations ont été conduites avant la seconde guerre mondiale. Elles comprennent l’élaboration d'une typologie des fibules qui se retrouvent dans l’est du bassin méditerranéen, mise au point par l’archéologue suédois, Blinkenberg 115 . Durant les années 1927-29 116 , des sondages dans la région d’Alişar ont révélé le site de Kerkenes Dağ et soixante-neuf tumuli. Le site de Gâvurkalesi 117 exploré sous l’égide de l’Etat turc, a d’abord attiré les chercheurs à cause de la présence d’un relief hittite représentant trois personnages, un assis et deux debout. Mais les investigations de von der Osten ont révélé un site de l’âge du Fer très important, pl. 10 118 . On y a trouvé de la céramique et du matériel en bronze antérieur et postérieur aux invasions cimmériennes. Le site a été fouillé et dessiné en dix jours ; les recherches ont repris en 1994 sous la direction de S. Lumsden 119 .

Au début des années 30, les premières tentatives 120 de chronologie comparée des reliefs sont proposées. En 1935, débutent les fouilles de Tarsus-Gözlü Kule 121 , dont la dernière publication monographique dans les années 60 fournit des données essentielles pour la connaissance de l’âge du Fer cilicien et, par comparaison,du plateau 122 . Le site du Göllüdağ 123 , à la limite sud-est du plateau, dans le Melendiz Dağları, a révélé de la céramique peinte notamment avec des cercles concentriques. Cet établissement sur une hauteur ne fut jamais achevé ; les bâtiments ont conservé leurs orthostates sans leurs reliefs sculptés. Les recherches interrompues pendant de nombreuses années ont repris dans les années 90, sous la direction de W. Schirmer 124 .

Le site de Pazarlı 125 a été réoccupé de façon intensive après un long intervalle de 3 ou 4 000 ans à l’âge du Fer. Malgré l'appellation simplifiée de phrygien, il date du VIIe siècle, certains éléments remontant même au VIe siècle. L’implantation, comparable à celle de Gâvurkalesi, sur une haute colline, domine la campagne environnante. Il y a trois niveaux phrygiens ; l’occupation la plus ancienne a brûlé. La citadelle est quadrangulaire, l’extérieur est construit de façon grossière. Au sud-ouest, un escalier permet d’accéder à la citadelle. A l’intérieur, deux bâtiments de briques et de bois sont installés sur des fondations de pierre. Le toit était fait de tuiles, et les murs ornés, peut-être à l'extérieur, de bas-reliefs. Une des pièces avait un sol fait de mosaïques de clous (Stiftmozaik) de terre cuite. Il existe plusieurs types de revêtement : les tuiles simples, les revêtements figurés ou géométriques 126 . La céramique est comparable à celles d’Alişar, de Gordion ou d’Alaca. Les productions peintes ou colorées représentent neuf dixièmes des trouvailles, alors que les grises ou les noires seulement un dixième. A Karaoğlan, en revanche, la céramique grise prédomine. La fouille d’un tumulus 127 a révélé des plaques de revêtement avec des représentations de guerrier comme sur la citadelle. Le site de Demirci Höyük 128 entre Eskişehir et Boğazköy a une occupation tardive (VIIe siècle). Les couches seront réexaminées à partir de 1975 129 .

Le site de Tepebağları 130 a révélé dans le niveau de destruction de la fin de l’Empire hittite une jarre mycénienne probablement de la période IIIC donc du XIe siècle selon Akurgal 131 . Cet élément a soulevé plusieurs questions : s’agit-il d’une intrusion, ou faut-il réviser les dates et placer la fin de Hattuša au XIe au lieu du XIIe siècle ?

A Sultanhan 132 , une nouvelle inscription en hiéroglyphes louvites 133 a été mise au jour lors de la construction du chemin de fer. Un arasement de la surface a révélé une base rectangulaire inscrite ainsi que des vases. Un peu plus loin sur une colline sont apparues des tombes à inhumations et une construction de foyer en pierres calcaires. L’inscription rupestre de Karahüyük 134 , près de Karapınar, a permis la découverte du site de Topada qui a révélé de la céramique hittite et romaine.

Notes
94.

WINCKLER, PUCHSTEIN, 1909. ANONYME, 1932, 338-339. WINCKLER, 1907. ARIK, 1936b. ARIK, 1938. Ensemble des ouvrages se référant à ces recherches.

95.

Von der OSTEN, 1929b, 56.

96.

von der OSTEN, 1927, 34.

97.

Ibid., 35.

98.

von der OSTEN, 1929a, en 1928, 83-98.

99.

von der OSTEN, 1930, 474.

100.

von der OSTEN, 1927, 35.

101.

A Boğazköy en 1906-07 puis en 1911-12 avec Winckler et à Alaca en 1907.

102.

Où a été retrouvée une inscription.

103.

von der OSTEN, SCHMIDT, 1930, n°3104, 353.

104.

Ibid., n°3243.

105.

Ibid., n°3254.

106.

Ibid., n°184. En ce qui concerne les définitions de la céramique d’Alişar, elles seront examinées dans le chapitre 7. La céramique.

107.

SCHMIDT, KROGMAN, 1933, 1-88.

108.

von der OSTEN, MARTIN, MORRISON, 1933.

109.

Brique crue en turc. Ce terme, utilisé par commodité dans l'ensemble de la thèse, ne tient pas compte des différences techniques, briques crues, pisé, adobe.

110.

von der OSTEN, 1937 ; SPEISER, 1939.

111.

Selon les critères de von der Osten.

112.

ARIK, 1937. ARIK, 1936b. ARIK, 1938. Ensemble des monographies sur le sujet.

113.

TEMIZER, 1949, 795-806.

114.

KOŞAY, AKOK, 1973. BALTACIOĞLU, 1996, 1997, 1998, au symposium annuel des fouilles d’Ankara et de Tarse.

115.

BLINKENBERG, 1926.

116.

SCHMIDT, 1929, 221-274.

117.

von der OSTEN, MARTIN, MORRISON, 1933.

118.

Cf. Pl. 10. Gâvurkalesi. von der OSTEN, 1937, fig. 56.

119.

Cf. 2. 3. Les dernières données.

120.

von BISSING, 1930-31, 159-201.

121.

GOLDMAN, 1935, 526-549. GOLDMAN, 1937, 262-286. GOLDMAN, 1940, 60-86. GOLDMAN et alii., 1963.

122.

Ce site est hors de notre zone d’étude, nous ne l’examinerons donc pas plus en détail.

123.

ARIK, 1936a. ARIK, 1935. BITTEL, SCHNEIDER, 1940. Ensemble des ouvrages évoquant ce site.

124.

Cf. 2. 3. Les dernières années-La recherche récente.

125.

KOŞAY, 1938. Monographie.

126.

Cf. Chap. 4. Architecture et stratigraphie. 4. 2. 1. Pazarlı.

127.

KOŞAY, 1941, 19.

128.

BITTEL, OTTO, 1939, nous nous référons à l’ensemble de l’ouvrage.

129.

KORFMANN, 1977/1978, 5-15.

130.

AKURGAL, 1943, 1-43.

131.

Et non au XIIe siècle.

132.

DELAPORTE, MERIGGI, 1932/34, 239-246.

133.

Cf. Chap. 3. Les sources écrites, 3. 5. Les inscriptions cunéiformes et hiéroglyphiques.

134.

DEL MEDICO, 1932/34, 247-250.