2. 2. 2. Les fouilles

2. 2. 2. 1. Gordion

Les fouilles de Gordion reprennent en 1950 sous la direction de R.S. Young 213 . De 1950 à 1973, elles se concentrent d’une part sur les tumuli, d’autre part sur l’habitat dans la citadelle. La ville de Gordion présente une stratigraphie complexe, avec des bâtiments dit “ mégara ” 214 . La citadelle étant située dans la partie est, la partie ouest est pratiquement inconnue. Plusieurs tumuli explorés conservaient du mobilier métallique et céramique qui sera décrit dans les chapitres suivants 215 . Les inhumations dans des cistes et les crémations placées dans des jarres grossières sont d’autres types de pratiques funéraires employées à la période phrygienne 216 . Des investigations sous le niveau des mégara, au nord de la grande cour, ont mis au jour 217 un niveau du Fer ancien avec de la céramique grossière ; des explorations plus approfondies seront menées ultérieurement 218 . Il existe donc une longue séquence céramique, depuis le deuxième millénaire 219 . La céramique 220 est le plus souvent grise, tournée. Il existe aussi quelques exemples, en très petite quantité, de céramique dite “Alişar IV” avec des ornements géométriques et animaliers, probablement des importations. On y trouve aussi de la céramique peinte avec des décors peints géométriques 221 . Young proposa dés 1950 de faire coïncider le niveau détruit par un incendie avec les invasions cimmériennes en 696 environ, au moment où avait été entreprise la rénovation du quartier sud-est du palais 222 . Gordion sera rapidement réoccupé et connaîtra un nouveau développement.

Toutes les découvertes de Gordion vont déterminer l’image que se font les chercheurs de la Phrygie. Gordion est un site exceptionnel à deux points de vue : à cause de son importance historique en tant que capitale de l’Etat phrygien, à cause de l’intensité des recherches qui y ont été conduites pendant de nombreuses années. D’une certaine façon, Gordion fausse les données concernant le plateau anatolien.

La thèse de G. K. Sams a été soutenue en 1971 223 . Elle fait le lien entre la stratigraphie de Gordion et sa céramique. Elle est capitale pour comprendre la chronologie de la céramique phrygienne et antérieure. En effet, Sams présente aussi les tessons issus des niveaux immédiatement postérieurs à la fin de la période hittite de Gordion. Il semble qu’il n’y ait pas eu de destruction à la fin de l’âge du Bronze sur ce site. Sams interprète les vases à long bec latéral comme des vases à boire la bière. Ce type aurait été utilisé dans les colonies assyriennes au début du deuxième millénaire 224 .

Une autre thèse 225 , celle de J. McClellan porte sur du matériel en métal provenant des fouilles de Gordion. Son étude porte sur le matériel en fer, tant les armes et les armures que les lames, les outils agricoles, les outils pour la construction, les bijoux et les articles de toilette 226 . Aucun objet ne se rattache à la Thrace, à la Macédoine ou aux Balkans. La technique du travail du fer aurait donc été acquise en Anatolie.

Gordion serait plutôt une forteresse et un centre administratif qu’une grande ville très peuplée 227 . Elle sert de marché et de lieu de refuge. On y trouve, en outre, de nombreux ateliers notamment pour la production d’objets en bronze. Le site est à un croisement de routes venant de plusieurs directions 228 . On y trouve des importations de bronze de Syrie du nord comme de Grèce et d’Italie 229 . Mais il est difficile de faire la différence entre le commerce et les contacts diplomatiques ou politiques :

‘“For it seems at least as likely that much of the eastern wealth accumulated in the city was the result of a kind of diplomatic protocol between Phrygian and North Syrian heads of state. One might even think of the exchange of gifts between Pisiris and Midas up until 717 when Carchemish was annexed by Sargon.“ 230

Il est difficile de déterminer si les mouvementsde marchandises vers l’ouest datent d’avant ou d’après les invasions cimmériennes. On peut se demander quelles voies ont été utilisées à partir de l’ouest, de la côte levantine, de la Cilicie. Les Grecs n’ont pas forcément été les interlocuteurs directs. Il est possible que des marchands syriens ou levantins aient servi d’intermédiaires.

Sams en 1978 propose d’interpréter la céramique phrygienne de Gordion, de la ville de Midas, de Konya et de la région du Halys, Alişar, Boğazköy et Kültepe comme un ensemble homogène 231 . Il présente une approche globale du problème et constate beaucoup de similitudes dans l’organisation du décor et les techniques utilisées 232 . Il examine ensuite les différences dans les motifs. Son but est de déterminer l’étendue de l’utilisation avec les différences régionales de motifs géométriques.

La première monographie sur le site de Gordion est publiée en 1981. Elle porte sur les trois plus grands tumuli fouillés par Young et présente le mobilier en détail 233 .

En 1988, les fouilles de Gordion reprennent sous la direction de M.M. Voigt 234 . L’une des priorités est de clarifier la transition entre l’âge du Bronze et l’âge du Fer. Les premiers résultats dendrochronologiques ont été obtenus pour Gordion et le tumulus de Büyük à Ankara 235 . Des parallèles ont été faits avec les données de Maşat 236 . Sams propose d’appeler “période phrygienne ancienne” la phase qui part d’une date inconnue jusqu’à la destruction de la citadelle de Gordion aux environs de 700 237 . Les premières couches de l’âge du Fer ont livré de la poterie faite à la main à cuisson noire, différente de celle de l’âge du Bronze, ayant des affinités avec les productions phrygiennes. Elle est comparable à celle existant à Troie VIIb 1-2, grossière et à boutons, influencée par des éléments des Balkans. Cependant, de nouvelles observations s’énoncent sur les productions de l’âge du Bronze :

‘“The Late Bronze ceramic sequence, as analysed by Ann Gunter, extends typologically to the end of the Hittite Empire, suggesting that Anatolians continued to occupy the site at least until the Hittite collapse, c. 1200 B.C. In the absence of a clear stratigraphical marker in the limited soundings to indicate either abandonment or destruction, an integrated Euro-Anatolian community is possible. Indirect ceramic evidence could suggest a cultural overlap.“ 238

Dans les mêmes couches apparaissent de la céramique modelée, des productions du Bronze récent et des vases phrygiens gris tournés. Les formes phrygiennes typiques ont des antécédents à l’âge du Bronze parmi le matériel hittite. L’architecture de l'habitat semble être dans le prolongement de la tradition anatolienne. Il existe aussi des connections avec les royaumes de Tabal et la Syrie. Il y a par exemple une influence syro-hittite dans le plan de l’entrée mise au jour sur le site de Gordion. Les orthostates aussi sont comparables par l’iconographie surtout avec Carchémish et Zincirli. Peut-être y-a-t-il eu des contacts avant la fin du IXe siècle, ce qui expliquerait une influence aussi marquante, allant jusqu’à inspirer les concepts religieux. La céramique à décor peint, ainsi que les techniques sophistiquées de travail du métal, sont imprégnées d’influences syriennes et syro-anatoliennes. La céramique estampée, en revanche, est d’influence thrace. Il en va de même pour les coutumes funéraires, notamment quant à l’utilisation des tumuli 239 .

Notes
213.

YOUNG, 1950, 196-201.

214.

Pour la définition du mégaron, Cf. Chap. 4. Architecture et stratigraphie, 4. 2. 1. Gordion.

215.

Cf. Chap. 7. La céramique. Chap. 8. Les petits objets.

216.

YOUNG, 1955a, 1-18.

217.

YOUNG, 1966, 272-273.

218.

Dans les années 90. Cf. 2. 3. Les dernières données. 2. 3. 1. 2. Gordion. 2. 3. 2. 2. Gordion.

219.

MELLINK, 1966a, 139-159. MELLINK, 1966b 279-282.

220.

HENRICKSON, 1994, 95-129.

221.

La céramique sera examinée plus précisément quand nous aborderons les années 90 et, par ailleurs, dans le chapitre qui lui est consacré. Il en sera de même pour l’architecture et les petits objets. Cf. Chap. 4. L’architecture et stratigraphie. Chap. 6. La sculpture. Chap. 7. La céramique. Chap. 8. Les petits objets.

222.

SAMS, 1994, 211-220.

223.

SAMS, 1971.

224.

SAMS, 1977, 108-115. Cf. Chap. 7. La céramique.

225.

McCLELLAN, 1975.

226.

Cf. Chap. 8. Les petits objets. 8. 4. 2. Les objets en fer.

227.

YOUNG, 1978, 9-24.

228.

SAMS, 1979, 51.

229.

Cf. Chap. 8. Les petits objets.

230.

Ibid., 46.

231.

SAMS, 1978, 227-236.

232.

Cf. Chap. 7. La céramique.

233.

YOUNG, 1981. Cf. Chap. 8. Les petits objets.

234.

MUSCARELLA, 1988c, 2-4.

235.

Cf. Chap. 4. Architecture de l'habitat et stratigraphie. 4. 3. Dendrochronologie

236.

KUNIHOLM, 1988, 5-8.

237.

SAMS, 1988, 9-15.

238.

Ibid., 9.

239.

Cf. Chap. 5. Architecture et pratiques funéraires. Chap. 9. Synthèse et conclusions