Au cours des dernières années, on assiste à un changement des mentalités suscitant une nouvelle perception des données :
‘“Au cours des vingt dernières années, l'archéologie a profondément remis en cause le travail de générations de savants qui cherchaient à expliquer avant tout en termes de migrations, les mutations observées dans les documents archéologiques. Or, on estime maintenant que ces types de poteries, si minutieusement étudiées autrefois, ne désignent pas à coup sûr des groupes humains spécifiques -les récipients peuvent avoir été échangés, ou leur style adopté, sans qu'aucun changement ait eu lieu dans la population.“ 384 ’Une approche philologique a révélé que le statut du phrygien restait obscur. Il n'est pas certain qu'il faille le classer avec le thrace et le dace, il serait plus proche du grec 385 . Dans cette hypothèse, les Phrygiens seraient arrivés en Turquie par l’Hellespont avec les Arméniens. Parallèlement, en Grèce, apparaît au Bronze récent la “barbarian ware”, un type de céramique fait à la main et bruni 386 . Cette poterie a une fonction domestique. Selon Small, cette manifestation serait liée à la résurgence d’un modèle d'économie préhistorique, corrélée avec l’évolution du système économique dans le monde en pleine mutation de la fin de l’âge du Bronze. C’est avec ces arguments que l’auteur propose plutôt une appartenance indigène qu’une importation.
Au Bronze récent, les Hittites étendent leur domination sur l’Anatolie du sud-est et de l’est et la Syrie du nord. Aux environs de 1200, sous une pression probablement économique, selon James 387 , l’Empire s'écroule. Les textes égyptiens invoqués pour expliquer la destruction de l’Empire hittite ne mentionnent qu’une guerre dans laquelle les Hittites étaient engagés, ce qui favorise l'hypothèse d'un renversement indépendant d'une invasion. Au déclin économique s’ajoutent les invasions de barbares dont les Peuples de la Mer, puis les périodes obscures ; quatre cents ans plus tard, les immigrants des Balkans s'installent. Plusieurs hypothèses ont été évoquées pour expliquer la décadence des Hittites : la famine, le changement climatique, l’association entre le changement climatique et le déclin de l’Assyrie et de Babylone 388 . On constate seulement qu’un déclin semble souvent contemporain d’une chute démographique, rarement d’une croissance. Mais il n’y a eu confirmation d’aucune des hypothèses.
Parmi les caractéristiques schématiques de l’âge du Bronze au Proche-Orient, on trouve une écriture, des cités avec des murs de défense et des zones avec des bâtiments monumentaux et une concentration des richesses. Les caractéristiques de l’âge du Fer ne sont pas fondamentalement différentes, mais s’orientent vers de nouvelles directions. Les écritures syllabiques se développent et rendent l’écriture plus accessible. Malgré cela, les Syro-hittites continuent d’utiliser les hiéroglyphes. L’organisation politique a peu changé, mais par contraste l’âge du Fer est aussi le moment de l’abandon des cités-états pour l'empire : par exemple l’Assyrie sous Tukulti-Ninurta I (1244-1208) et Tiglat-Pileser I (1115-1077). Ces différences seraient à la fois la cause et la conséquence de la chute de l’Empire hittite.
Pour Muhly, l’importance des invasions a été exagérée par rapport aux événements qui leur ont succédé 389 , ainsi l’apparition de nouveaux types de céramique comme la céramique mycénienne du IIIC ou HR III C : 1b et la céramique “barbare”. Les années 1250-1190 ne sont pas marquées par une invasion soudaine mais plutôt par un déclin lent, progressif. La fin de l’âge du Bronze semble être une réponse à des événements du XIIIe siècle, toujours incompris, mais qui n'ont probablement pas grand chose à voir avec les raids des Peuples de la Mer. Muhly suggère la recherche de plusieurs réponses selon les pays concernés au lieu d'une réponse unique pour l’ensemble. Les envahisseurs laissent un nouveau type de céramique qui n’est pas importée mais produite localement. Peut-être le style grossier, barbare, est-il originaire du nord mais il n’y a pas eu d'importation de la céramique elle-même mais seulement du concept. Le problème est le même pour les produits du Mycénien III C à Chypre ou du Levant ; tous les exemplaires semblent faits sur place. Les recherches des dix dernières années étaient axées sur une continuité des arts. Mais les résultats n’ont pas été très concluants ; ils révèlent essentiellement des différences dans les qualités de la céramique ou des bronzes. La grande interrogation reste la nature des échanges internationaux au XIIe siècle. Les travaux en Thrace ont révélé beaucoup de céramique modelée brunie en particulier autour de la mer de Marmara. Les datations semblent indiquer une utilisation éphémère. Cette céramique étant le marqueur des envahisseurs venus du nord par la Thrace, on peut se demander ce qu’ils devinrent en suite 390 . Un catalogue des sites a révélé la présence de céramique faite à la main sur cent sites. Le cas de Troie et plus encore celui de Gordion sont spécifiques. Muhly propose de dissocier les invasions de l’apparition de nouvelles productions :
‘“It is also true that there is no direct connection between destructions at the end of the Late Bronze Age and the appearance of handmade burnished ware, since both at Mycenae and Lefkandi such vases appear immediately before as well as after the destructions in question.“ 391 ’La présence de poterie ne peut pas être équivalente à la présence de populations 392 .
Selon Hoffner, Hattuša a probablement été détruite par les Kashka 393 . Cependant une dynastie “locale” de Tarhuntašša a été créée par Muwatalli II juste avant la bataille de Qadesh. Que se passe-t-il dans cette région au moment de la chute de l’empire ? Les sites détruits par des incendies se trouvent tous dans une région circonscrite avec Karaoğlan, Gordion (abandonné à la fin de l’âge du Bronze), Norşuntepe, Malatya, Tarse, Mersin. Pendant plusieurs années, ils sont inhabités sauf par des “squatters“. L’Anatolie centrale connaît ensuite un long hiatus avant la reconstruction. En 1200, apparaît un nouveau type d’épée : Naue Type II au Proche-Orient 394 peut-être les bouleversements sont-ils dus à l’apparition de nouvelles armes, et le résultat d'innovations techniques permettant la fabrication d’armes plus solides (le fer est utilisé couramment au XIe siècle). L’Empire ne s’est écroulé qu’après les attaques des “barbares“ :
‘“A military explanation seems to provide all that is necessary. Shortly before 1200, barbarian raiders and pirates discovered a way to overcome the military forces on which the eastern kingdoms relied. With that discovery, they went out into the world and made their fortunes.“ 395 ’L’absence d'objets étrangers dans les niveaux de destruction a conduit Bittel à l’hypothèse de leur destruction par la population, anatolienne, des Kashka 396 .
Yakar 397 suppose que l’administration centrale de l’Empire était déjà affaiblie. Un bateau chargé de grain aurait été envoyé par Merneptah au Hatti 398 , ce qui suppose une famine à la fin du XIIIe siècle. L’affaiblissement de l’Empire aurait entraîné la désintégration de toute la civilisation hittite. Les royaumes de Tarhuntašša et de Carchémish se révèlent être les gardiens de la culture hittite. Hawkins a découvert de nombreuses données qui donnent à penser qu’il y a une continuité à Tarhuntašša après la chute de l’Empire 399 . La sécurité de l'Empire a peut-être été mise en péril par les attaques de l'état d'Arzawa vers les régions sud. En effet, il existe des mentions dans l’Ancien Empire au XVe ou XIVe siècle, selon lesquelles Arzawa se rebelle et saccage les terres du Hatti jusqu'à Niğde. La répétition d'une telle manœuvre aurait entraîné une coupure entre le Hatti et le Kizzuwatna (Cilicie). Mais Troie et le plateau semblent avoir été pénétrés par un groupe venu de Thrace à la fin du XIIIe ou au début du XIIe siècle, ainsi que l’attestent les restes trouvés à Troie, Gordion et Kaman. Les nouveaux arrivants sont-ils le reste d’un des plus grands groupes de tribus du sud-est de l’Europe ? Kaman a fourni la preuve que le groupe qui arrive par la Thrace ne s'installe pas seulement à Troie et à Gordion. Les connexions directes entre Gordion et Troie sont difficiles à démontrer. Il est possible que la réapparition de la poterie tournée soit le signe de l’arrivée des Phrygiens. La désintégration de l'Empire a été un processus lent qui a pris au moins une génération. Les Kashka n’en sont pas les seuls responsables. Plusieurs années de sécheresse sont attestées et il est possible qu’il y ait eu des luttes entre habitants pour l’accès aux pâturages. De plus, pour affaiblir encore l’Empire, les luttes entre Kurunta et Tudhaliya IV ont été très intenses, ce qui a apporté le chaos dans le pays sous un gouvernement faible.
Drews est le seul à réfuter l’hypothèse d’une migration phrygienne depuis l’Europe en se fondant sur les textes antiques. La mention qui en est faite par des auteurs (Hérodote et Xanthus de Lydie) du Ve siècle av. J.-C. serait :
‘“A fiction put forward by interested parties.” 400 ’Il accepte que le phrygien soit lié aux langues indo-européennes de l’autre côté de l’Hellespont. Le macédonien et le thrace forment un pont entre le grec et le phrygien. Mais il considère que le phrygien, le macédonien, le thrace et le grec ont évolué à partir d’une langue apportée en Egée de l’Anatolie de l’est. Cette arrivée se ferait au Bronze Moyen et la différenciation se serait faite au cours du Bronze récent. Si la zone autour de Gordion était en pleine sécheresse 401 , il n’y a pas de raisons pour que les Phrygiens s’y soient installés. Une autre raison de douter de la migration est l’absence de traces de départ ou d’arrivée dans les Balkans et en Asie Mineure. Beaucoup de destructions sont attestées mais très peu de matériel intrusif qui impliquerait l’arrivée d’une nouvelle population. La céramique grossière de Troie VIIb et de Gordion qui signalerait l’arrivée des Phrygiens se trouve aussi à Mycènes, Lefkandi et Chypre mais on ne la rencontre qu’aux environs de 1200, ni avant ni après 402 .
Strabon, à la suite d’Hérodote, accepte l’hypothèse selon laquelle les Phrygiens sont issus des peuples des Balkans. Toute cette théorie repose sur quelques phrases de deux auteurs du Ve siècle, dont l’autorité est contestable ; elle semble avoir été élaborée dans une tentative de concilier plusieurs légendes concernant le roi Midas. Avant Hérodote et Xanthus, les Grecs ont cru que les Phrygiens avaient toujours vécu en Phrygie 403 . Les histoires extraordinaires sur Midas, le roi compagnon des dieux et des satyres ont conduit Hérodote et Xanthus à transcrire les certitudes des Macédoniens et des Thraces qui étaient convaincus que la légende eut lieu chez eux. En se fondant sur les textes d’Homère ou d’autres auteurs anciens qui n’évoquent pas d’autres habitants pour ce territoire que les Phrygiens, Drews renforce son hypothèse :
‘“That means, it seems to me, that unless we have good evidence to the contrary - and this article has shown that we do not - we must assume that Phrygian-speakers were already in northwest Anatolia in the Late Bronze Age.” 404 ’Les Phrygiens seraient venus de l’est de l’Anatolie. Certains se seraient établis en Anatolie, d’autres se seraient rendus en Grèce et se seraient emparés des plus belles terres 405 . L’Anatolie de l’est présente des traces substantielles d’occupation entre le XIIe et Xe siècle 406 . V. Sevin qui conduit des recherches dans la région d’Elazığ y a découvert des traces d’occupation pré-urartéenne, ce qui le conduit à mettre en doute la présence de Mushki/Phrygiens venus de la Thrace. En effet la poterie qu’il a mise au jour n’a aucune relation avec ce qui se fait à la même époque en Anatolie de l’ouest 407 .
En ce qui concerne la chute du Hatti, des liens ont été établis entre Alasia/Chypre et les envahisseurs de la mer 408 . De nouveaux textes retrouvés à Boğazköy ont montré l’importance de Tarhuntašša à la fin de l’Empire 409 . Les Kashka semblent, partiellement, responsables de la chute de Hattuša déjà ébranlée par des conflits internes.
Un groupe indo-européen pénètre jusqu’au Tigre au XIIe siècle. Il est lié aux Arméniens, aux Grecs et aux Albanais 410 . Il est connu sous les noms de Mushki et de Phrygiens. La religion était monothéiste. Ils adoraient la déesse de la terre, des animaux sauvages, la mère des dieux, connue comme Matar ou Matar Kubeleya, peut-être identique à celle de Carchémish. Il est possible que ce soit une religion aniconique. Les tombes et l’utilisation des façades rupestres comme réceptacle de la divinité sont confondus à Arslantaş. A la ville de Midas, les «tombes» et la déesse seraient adorées ensembles dans un même culte 411 . Les idoles ont un corps carré, une tête circulaire, souvent double. Il y en a plusieurs exemples à Boğazköy. Sur ce site, le sanctuaire situé près du temple I contenait une statue de faucon en pierre qui représente Cybèle. Aucune des représentations retrouvées jusqu'à présent n'est antérieure au VIIIe siècle.
Le passage de l’utilisation du bronze à celle du fer s’est fait assez rapidement, entre le XIIe et le Xe siècle 412 . Cela s’expliquerait par une coupure des sources d’approvisionnement du cuivre et/ou de l'étain. Il est aussi possible que la découverte d’une technique nouvelle soit accidentelle 413 . Parallèlement le bronze est toujours utilisé, certains objets combinant les deux métaux.
La citadelle de Troie VI est détruite par un tremblement de terre ou par des ennemis au milieu du XIIIe siècle. A la phase VIIa, la citadelle est reconstruite et elle est dévastée par un incendie. Le niveau VIIb 1-2 porte les traces de nouvelles populations d'Europe du sud. Une céramique grossière originale s'ajoute à celles qui sont typiquement troyennes, ce type dit Buckelkeramik a des analogies avec le sud de l’Europe où il apparaît avec des productions HR IIIC de Grèce. Les niveaux VIIb 1 et 2 contiennent deux types de céramique provenant de deux invasions différentes, ce qui suggère que plusieurs peuples luttent pour faire tomber les grandes puissances. Si la date de la fin de la phase VIIb à Troie était repoussée au Xe ou IXe siècle, le hiatus entre cette phase et le niveau VIII serait éliminé mais Blegen réfute une existence postérieure à 1100, en arguant qu’il n'existe pas d'expansion de ces populations européennes vers l’ouest et pas d'importation de l'Egée jusqu'au VIIIe siècle. Les problèmes de datation de Gordion sont impossibles à résoudre sans utiliser Troie comme référence 414 . Néanmoins la date de l’introduction de la poterie modelée après VIIa a souvent été débattue. Les productions du Mycénien IIIC sont présentes dans le niveau de destruction VIIa et dans le suivant VIIb1. Les types sub-mycéniens sont en vigueur au VIIb2. Le niveau VIII est caractérisé par les vases proto-géométriques et géométriques. Donc le niveau VIIb1 serait de la fin du XIIe, le VIIb2 du XIe siècle. L'hiatus entre le niveau VIIb2 et le niveau VIII serait ainsi réduit ou éliminé.
RENFREW, 1990, 11. Version française.
Ibid.
SMALL, 1990, 3-25.
JAMES et alii., 1991, 120.
HALLO, 1992, 1-19.
MUHLY, 1992, 10-26.
ÖZDOĞAN, 1987, 38.
MUHLY, 1992, 13.
HARVEY, 1976, 206-214.
HOFFNER, 1994, 46-53.
DREWS, 1993, 25.
Ibid., 93.
GÜTERBOCK, 1992, 53-55.
YAKAR, 1993, 3-28.
Ibid., 5.
HAWKINS, 1994, 91-94. Cf. Chap. 3 Les sources écrites. 3. Les textes hittites, Kurunta et les inscriptions de Karadağ-Kızıldağ.
DREWS, 1993, 11.
Aux environs de 1200, comme le prouve l’étude des bois par P.I. Kuniholm. KUNIHOLM, 1988, 5-8 ; 1993, 371-373.
DREWS, 1993, 9-26.
Cf. 3. 1. Textes Classiques.
DREWS, 1993, 24.
Ibid., 26.
BARTL, 1995b, 205-212.
SEVIN, 1991, 87-97.
BARTL, 1995a, 193-208.
OTTEN, 1988, 13-21.
van LOON, 1990, 29.
Nous avons choisi de ne pas traiter les religions phrygienne et anatolienne, en l’absence de données vérifiables concernant le sujet.
ZACCAGNINI, 1990, 493-502.
Ibid.
MUSCARELLA, 1995, 91-101.