2. 4. Conclusion

Nous avons pu retracer le début des investigations au début du XIXe siècle. Les périodes capitales pour l’évolution de la recherche semblent les années 50 et 60 puis les années 90. Elles sont marquées en particulier par les fouilles de Gordion. La stratigraphie de Gordion est essentielle à la compréhension de la transition entre l’âge du Bronze et l’âge du Fer. Les conséquences historiques pour l’ensemble du plateau sont cependant à relativiser, car ce site représente un cas particulier. L’abondance des investigations, de même que son importance stratégique, en font une exception.

Le plateau anatolien, tel qu’il a été défini dans le chapitre 1 traitant de la géographie, semble avoir été le foyer de plusieurs cultures correspondant à différents peuples, les Phrygiens, les Mushki ou d'autres, ainsi qu'à différentes entités politiques. Or, souvent la culture matérielle de ces populations n'est pas clairement définie. Si l'on s’en tient à la céramique qui serait l'un des marqueurs culturels déterminants, on constate qu'aucun atelier n'a été fouillé à Alişar, alors que l'on considère ce site comme le producteur d'une classe céramique particulière. De même la céramique grise, dite phrygienne, n'a pas été retrouvée dans un atelier. La métallurgie paraît être très développée. Pourtant, comme pour la céramique, aucun atelier n'a été retrouvé ; il est difficile de déterminer, par exemple, si certaines pièces particulièrement élaborées comme les chaudrons à protomes sont des productions locales.

Si frustrant que représente ce constat, force est de signaler que la compréhension des données n’a pas beaucoup évolué au fil des découvertes. L’idée de l’installation des Phrygiens et de la création d’un Etat est née dans la seconde moitié du XIXe siècle. Nous n’en avons pas appris beaucoup plus sur les relations entre Gordion et les autres villes ou villages du plateau. La fin de l’Empire hittite, même si sa date a pu varier, reste de nos jours inexpliquée puisque nous ne savons toujours pas qui a détruit Hattusa et ce qui a suivi sa destruction. De surcroît, la plupart des sites étaient connus dès le début du siècle, probablement par leur situation sur des höyük. Les différences entre la région d’Alişar et de Gordion ont été perçues dès les années 30, même si le terme de phrygien est toujours utilisé, dans un sens large, pour l’ensemble des sites du plateau sauf Alişar même. Le peu d’évolution de nos connaissances semble en partie dû au manque d'intérêt des fouilleurs qui mentionnent une couche de l’âge du Fer ou phrygienne et ne poussent pas beaucoup plus loin leurs investigations. Le terme de phrygien est souvent utilisé abusivement, aucune différence n’étant faite entre les périodes pré-VIIIe siècle, pré et post-invasions cimmériennes. Le terme est souvent équivalent à une appellation âge du Fer. Aucune distinction n’est faite selon les régions du plateau. Il demeure donc très difficile d’obtenir une image du plateau anatolien au début de l’âge du Fer.

Le problème des périodes obscures n’est toujours pas résolu. Après la chute de Hattuša, les traces d’occupation semblent disparaître sur l’ensemble des sites du plateau. Au VIIIe et peut-être dès le IXe siècle, de nouveaux Etats s’installent. Il y a donc un hiatus d’environ trois ou quatre siècles. Cependant, la céramique et l'architecture des sites de Gordion, de Boğazköy et les nouvelles inscriptions trouvées près de Konya par exemple, tendent à fournir des indices d’une activité. Les nouvelles fouilles menées à Boğazköy, à Kaman Kalehöyük et à Kuşaklı ont mis au jour des habitats de la transition. Cependant, même si les nouveaux résultats ont donné un peu de lumière sur cette période, la question de la provenance des populations étrangères reste posée. On peut d’ailleurs se demander si l’ensemble des populations doit être considéré comme immigré ou non. Les traces de ces populations sont essentiellement attestées par la culture matérielle et en particulier par la céramique. Or, on peut se demander si la seule présence de tessons peut attester la présence d’une population particulière. De même les conditions de l’émergence des nouvelles entités politiques au VIIIe ou au IXe siècle reste un mystère. S’agit-il de populations étrangères ou de populations locales ? S’il s’agit de peuples étrangers, comment la vie économique et politique s’organise-t-elle par rapport aux Anatoliens ? S’il s’agit de populations locales, comment s’ordonnent-elles et pourquoi n’apparaissent-elles pas plus tôt ?

La chronologie se fonde sur les productions céramiques. Il existe encore peu de dates provenant du C14 et de la dendrochronologie, malgré les travaux de Kuniholm. Il est donc extrêmement difficile de se rattacher à des données historiques provenant par exemple des annales assyriennes. En particulier, alors que le mot Phrygien n’est jamais mentionné, on y trouve l’appellation Mushki. Deux écoles se sont opposées : pour les uns, les Phrygiens sont les Mushki, pour les autres, il s’agit de deux peuples différents. Aucun élément scientifique n’est venu jusqu’à présent apporter une preuve dans un sens ou dans l’autre. En revanche, les inscriptions phrygiennes font état d’un Midas, roi ou titre royal. Les datations de ces inscriptions reposent sur l’examen épigraphique. Ces considérations nous semblent cependant secondaires, aucune certitude ne pouvant être établie dans l’état actuel des connaissances. Cet état de choses ne pourra être modifié que par l’apparition de textes plus explicites, l’archéologie ne pouvant pas résoudre ces interrogations historiques. De plus, l’énergie investie dans ce problème insoluble n’a eu comme résultat qu'un éloignement de la réalité archéologique et de sa problématique.

Nous présenterons au cours des chapitres suivants l’apport des différentes données (architecture, céramique, petits objets, sculpture etc...) à la connaissance du sujet.