Hérodote rappelle une légende sur l'origine très ancienne des Phrygiens :
‘“Les Egyptiens, avant le règne de Psammétique, se tenaient pour les plus anciens de tous les hommes. Mais, depuis que Psammétique, devenu roi, voulut savoir qui étaient vraiment les plus anciens, depuis lors ils tiennent les Phrygiens pour les plus anciens qu’eux-mêmes, et eux-mêmes pour les plus anciens que les autres. Psammétique avait beau s’informer ; il ne pouvait trouver un moyen de savoir qui étaient les plus anciens des hommes ; voici donc ce qu’il imagina. Il donna à un berger deux enfants nouveau-nés, fils de parents quelconques, pour les emporter où étaient ses troupeaux et les élever comme il suit ; personne, lui fut-il enjoint, ne devait prononcer un mot en leur présence ; ils devaient être seuls dans une cabane solitaire ; à heure dite, le berger leur amènerait des chèvres ; et, quand il les aurait rassasiés du lait de ces chèvres, il leur donnerait les autres soins. Psammétique prenait ces dispositions et donnait des ordres parce qu’il voulait savoir de ces enfants quel mot, une fois passé l’âge des cris inarticulés, ils proféreraient en premier. Ainsi fut fait. Il y avait deux ans que le berger exécutait ce qui vient d’être dit quand, un jour qu’il ouvrait la porte et entrait dans la cabane, les deux enfants, se traînant à ses pieds, prononcèrent le mot bécos en lui tendant les bras. La première fois qu’il entendit cela, le berger ne dit rien ; mais comme il arrivait souvent, quand il venait prendre soin des enfants qu’ils répétassent assidûment ce mot, il signala la chose à son maître, et, sur l’ordre de ce dernier, amena les enfants devant lui. Les ayant entendu à son tour, Psammétique rechercha quels hommes appelaient quelque chose bécos ; et ses recherches lui firent découvrir que les Phrygiens appelaient ainsi le pain. C’est dans ces conditions et en jugeant d’après cette aventure que les Egyptiens reconnurent aux Phrygiens une ancienneté plus grande que la leur. Voilà comment j’ai entendu raconter la chose par des prêtres d’Héphaïstos à Memphis ; mais des Grecs prétendent, entre beaucoup d’autres sottises, que Psammétique avait fait couper la langue à des femmes, et que ce fut auprès de ces femmes qu’il fit séjourner ces enfants.“ 538 ’Le commentateur français du texte suggère que bécos pourrait être une onomatopée reproduisant le bêlement des chèvres. L’histoire serait à l’origine une plaisanterie inventée pour tourner en ridicule les prétentions et les recherches futiles des Egyptiens 539 . Le mot bécos se lit sur des inscriptions phrygiennes, selon Legrand, et il désigne le pain à Chypre. Ce mot aurait été utilisé dans ce sens dans l’ionien vulgaire 540 . Plus loin, le traducteur rappelle que les Phrygiens sont d’ordinaire considéré comme un peuple d’origine récente 541 . Il existe en égyptien un mot bek qui désigne l’huile ce qui induit à interpréter l’aventure dans un sens différent qui n’a pas été choisi par les Egyptiens 542 .
Dans la traduction anglo-saxonne, le texte est quelque peu différent :
‘"The Egyptians, before Psammetichus became their king, thought that they were the oldest of mankind. But Psammetichus, when he became king, wanted to know truly which were oldest, and from that time the Egyptians consider that the Phrygians are older than themselves but that they, the Egyptians, are older than anyone else. For Psammetichus, when he could not in any way discover by inquiry which were the first people, devised the following plan. He took two newborn children of just ordinary people and gave them to a shepherd to bring up among his flocks. The manner of their upbringing was to be this: the king charged that no one else of those who came face to face with the children should utter a word and that the children should be kept in a lonely dwelling by themselves. At a suitable time the shepherd was to bring the goats to them, give them their fill of milk, and do all the necessary things. Psammetichus did this and gave orders because he wished to hear from those children, as soon as they were done with meaningless noises, which language they would speak first. This, indeed, was what happened. For when two year had gone by, as the shepherd was performing his tasks, he opened the door and went in, and the children clasped his knees and reached out their hands, calling "bekos". At first, when the shepherd heard this, he remained silent about it. But as he came constantly and gave careful heed to the matter, this word was constantly with them. So he signified this, to his master and at his command brought the children to his presence. When Psammetichus himself had heard, he inquired which of mankind called something "bekos". On inquiry he found that the Phrygians called bread "bekos". So the Egyptians conceded act, making this their measure, judged that the Phrygians were older than themselves. I heard this story from the priests of Hephaestus, in Memphis." 543 ’La traduction diffère dans les détails mais l'histoire est la même, les commentaires du traducteur ne suggèrent pas qu'il s'agissait d'une plaisanterie. Un poème hésiodique, datant probablement de la fin de la période archaïque, fait de Midas, roi de Phrygie, le fils de la Grande Mère des dieux. Avant Hérodote, les Phrygiens étaient considérés comme des hommes primitifs, parmi l’une des plus anciennes nations du monde. Psammetichus affirme que les Phrygiens sont plus anciens que les Egyptiens et que leur langue est la langue originelle. Hérodote les mentionne ensuite comme des étrangers à l'Anatolie et impose l'idée qu'ils ont immigré d'une terre de l'autre côté de l'Hellespont et donc d'Europe:
‘"Les Phrygiens, dit-on en Macédoine, étaient appelés Briges aussi longtemps que, vivant en Europe, ils habitaient avec les Macédoniens; c'est quand ils furent passés en Asie que, en même temps qu'ils changeaient de pays, ils changèrent aussi leur nom en celui de Phrygiens." 544 ’Il nous semble important de souligner qu'ils vivaient avec les Macédoniens, et donc qu'apparemment les Phrygiens n'étaient pas des Macédoniens. Le traducteur signale dans une note la présence en Europe, à des périodes plus tardives, après la "migration", d’une population portant le nom de Brugoi 545 . On peut se demander comment Hérodote peut dresser l'équation Phrygiens égalent Briges, basée sur les dires de la population macédonienne du Ve siècle, laquelle peut, aussi bien, se référer à une population s'étant déplacée aux VIIe ou VIe siècles et s'étant mélangée aux Phrygiens déjà installés sur le plateau. On comprend mal qu'un peuple change de nom en changeant de pays, fusse par volonté d'intégration. On peut aussi s’interroger sur un réel changement s'il s'agit d' une prononciation différente, les mots Phrygiens et Briges semblant assez comparables. Les autres mentions des Phrygiens concernent le roi Midas et ses rapports avec les Grecs :
‘"Ce Gygès est le premier Barbare à notre connaissance qui ait consacré des offrandes à Delphes, après Midas fils de Gordias, roi de Phrygie ; Midas, lui avait consacré le trône royal sur lequel il siégeait en public quand il rendait la justice, objet digne d'être vu ; ce trône est déposé au même endroit que les cratères de Gygès." 546 ’Midas serait ainsi le premier étranger à consacrer des offrandes au sanctuaire de Delphes à une période donc assez ancienne mais difficile à fixer. Ce roi aurait eu des liens personnels avec la Grèce, par son mariage avec une princesse grecque.
Hérodote décrit l’armement des Phrygiens à une époque postérieure à celle de notre étude, au moment de leur intégration dans l'armée de Darius :
‘“Les Paphlagoniens marchaient coiffés de casques tressés ; ils avaient de petits boucliers, des piques qui n’étaient pas longues ; avec cela, des javelots et des poignards ; ils étaient chaussés de chaussures à la mode de leur pays, qui montaient à mi-jambes.” 547 ’ ‘“L’équipement des Phrygiens se rapprochait beaucoup de celui des Paphlagoniens ; les différences étaient peu de choses. Les Phrygiens, dit-on en Macédoine, étaient appelés Briges aussi longtemps que, vivant en Europe, ils habitaient avec les Macédoniens ; c’est quand ils furent passés en Asie que, en même temps qu’ils changeaient de pays, ils changèrent aussi leur nom en celui de Phrygiens. Les Arméniens étaient équipés comme les Phrygiens, dont ils étaient unecolonie. Les uns et les autres avaient pour chef Artochmès, mari d’une fille de Darius.” 548 ’La fin du texte reprend la traduction mentionnant les Phrygiens-Briges vue à la page précédente. On remarque les légères différences entre les traductions françaises et anglo-saxonnes :
‘“The Phrygians carried weapons very much like the Paphlagonian, but a little different. The Phrygians, as the Macedonians say, were called Brigians for as long as -being Europeans- they dwelled alongside the Macedonians; but in crossing into Asia they changed both their locations and their name. The Armenians were brigated next to the Phrygians, being colonists of the Phrygians. Of both these contingents the captain was Artochmes, son-in-law of Darius.” 549 ’Les VIIIe et VIIe siècles sont pour les Phrygiens un moment d'apogée économique et de stabilité politique. Or, Hérodote écrivait au Ve siècle avant J.-C., donc à un moment où les Phrygiens sont les alliés de Darius et n’ont plus gère de liens avec les Phrygiens antérieurs aux invasions cimmériennes. Il est cependant possible qu’il y ait une pérennité dans l’armement. Seul un croisement entre différentes sources pourrait apporter quelques éléments de réponse.
Hér. II. 2. Trad. Ph. –E. Legrand.
LEGRAND, 1948, 66, note 1.
LEGRAND, 1948, 66, note 2.
Ibid., note 3.
Ibid., 67, note 1.
HER. II. 2. Daté de 660 selon Grene le traducteur.
HER. VII. 73. Trad. Ph. –E. Legrand, 1951.
Ibid., 174. HER. VI, 45; VII, 185.
HER. I. 14. Trad. Ph. –E. Legrand, 1951.
HER. VII. 72. Trad. Ph. –E. Legrand.
HER. VII. 73. Trad. Ph. –E. Legrand.
HER. VII. 73. D’après DREWS, 1993, 11.