3. 1. 3. Strabon

Strabon conteste les affirmations d'Homère et surtout leur chronologie par rapport aux événements :

‘"Ils erraient autrefois en plusieurs endroits de l'Europe, eux dont le poète fait les alliés des Troyens sans les faire venir pour autant de la côte d'en face. Ce qu'il dit des Phrygiens et des Mysiens remonte à une époque antérieure à la guerre de Troie" 550

Nous pouvons penser que Strabon nie que les Phrygiens aient pu être établis en Asie Mineure : contradiction fondamentale avec ce que nous lisons dans le texte d'Homère. Ceci pose problème car, en faisant remonter la présence des Phrygiens avant la "guerre" de Troie, Strabon suggère qu'ils étaient déjà présents sur le plateau au XIIIe siècle. Malgré cela il rejette radicalement cette dernière hypothèse :

‘"Mais les Phrygiens étant arrivés en Thrace en traversant le détroit, <...> 551 eurent tué <...> qui régnait sur Troie et les territoires voisins, les Phrygiens vinrent habiter ces lieux tandis que les Mysiens émigraient en amont des sources du Caïcos tout près de la Lydie." 552

Nous nous trouvons donc confrontée à la question de la datation de la guerre de Troie. Ces quelques lignes ont des lacunes que tente d'expliquer le traducteur en s'appuyant sur d'autres sources. Les Phrygiens ne seraient pas entrés en Asie avant la chute de Troie 553 , et le personnage assassiné dont le nomest absent serait le souverain"Scamandrios, fils d'Hector, qui avait amené les Phrygiens en Troade selon Xanthos" 554 . Les assassins seraient les Éoliens qui s'emparent de la Troade, après les Phrygiens, soixante ans après la chute de Troie 555 . Le texte restitué serait:

‘"Les Phrygiens étant arrivés en Thrace en traversant le détroit, les deux peuples 556 se mêlèrent. Mais après que les Éoliens eurent tué Scamandrios qui régnait sur Troie..." 557

Ce texte pose aussi le problème de la définition de la Thrace. Peut-on la situer en Grèce, en Anatolie ou en Bulgarie? Paradoxalement, Strabon ne s'oppose pas au poète, Homère, quand il dit que les Phrygiens occupaient les bords du Sangarios, si ce n'est sur la datation.

Une autre traduction interprète les données de façon légèrement différente :

‘“Xanthus the Lydian says that after the Trojan War the Phrygians came from Europe and from the left-hand shore of the Pontus; Skamandrios led them from Berekynti and Askania... Xanthus writes that when the Phrygians had come over from Thrace and killed the ruler of Troy and the adjacent lands, they settled there.” 558

Strabon accepte l’idée de la venue des Phrygiens d’Europe, il constate cependant 559 qu’il y a une contradiction entre l’affirmation d’une venue après la guerre de Troie et le texte d’Homère qui les mentionnent comme habitants de la Phrygie pendant la guerre.

Il essaie de définir et de décrire la Phrygie, et il expose au lecteur certaines de ses difficultés :

‘"Une partie de la Phrygie, en effet, porte le nom de Grande Phrygie, celle sur laquelle régna Midas et dont les Galates occupèrent une portion." 560

Ou plus loin :

‘"Mais ces territoires ont subi de telles modifications les uns par rapport aux autres, comme nous l'avons dit souvent, que les anciens appellent Phrygie la contrée du mont Sipyle et Phrygiens, par voie de conséquence, Tantale, Pélops et Niobé, sans qu'on puisse savoir si cette Phrygie fait partie de la Grande ou de la petite Phrygie : de quelque côté que soit la vérité, l'enchevêtrement est évident." 561 ’ ‘"Mais l'impossibilité d'y voir clair ne résulte pas seulement des vicissitudes, elle tient aussi au désaccord des historiens, qui ne disent pas la même chose sur les mêmes sujets, les uns appelant les Phrygiens les Troyens, à la manière des poètes tragiques, d'autres Cariens les Lyciens, et ainsi de suite." 562

Les données ne sont donc pas aussi claires que le prétendent certains auteurs 563 , utilisant les textes classiques pour prouver la provenance thrace ou européenne des Phrygiens.

Notes
550.

STRAB., XII, 8., 3.Trad. F. Lasserre.

551.

Lacune.

552.

STRAB., XII, 8., 3.Trad. F. Lasserre.

553.

STRAB., XIV, 5., 29. Selon Xanthos.

554.

LASSERRE, 1981, note 2 p. 131

555.

STRAB., XIII, 1, 3, 8.

556.

Les Mysiens et les Phrygiens, STRAB., XII, 8, 3.

557.

En italique : hypothèse de remplacement du texte lacunaire.

558.

STRAB. XIV. 5. 29. XII. 8. 1. Selon XANTHUS, frags. 14-15. DREWS, 1993, 11.

559.

STRAB. XIV. 5. 29.

560.

STRAB., XII, 8., 1.

561.

STRAB., XII, 8., 2.

562.

Ibid., 7.

563.

MELLINK, 1965, 317-325 ; SAMS, 1992, 9-15.