3. 1. 4. La mythologie de Midas

Dans les mythes concernant Midas élaborés au VIe siècle, celui-ci cohabite avec les Héros, donc à une période antérieure à la guerre de Troie. La mort mythique de Midas se situerait en 1317-1307 564 .

L’idée de la migration phrygienne vient, selon Drews, d’une nécessité de compléter le mythe. Les histoires extraordinaires sur ce roi compagnon des dieux et des satyres auraient conduit Hérodote et Xanthus à transcrire les certitudes des Macédoniens et des Thraces qui sont convaincus que la légende se place chez eux. Les deux faits contradictoires que Midas fils de Gordios avait un palais avec des roses en Macédoine ou en Thrace (mont Bermion, Inna, Odonia) et qu’il était phrygien, souverain de la ville de Gordion sur le Sangarios, seraient à l’origine de la polémique 565 :

‘"Ce n'est pas assez pour Bacchus ; il abandonne jusqu'au pays lui-même et, suivi d'une troupe moins barbare, il va visiter les vignobles de son cher Timolus et le Pactole, qui pourtant, à cette époque, ne roulait point d'or et n'excitait pas encore l'envie par la richesse de ses sables. Le cortège ordinaire du dieu, les satyres et les bacchantes, l'accompagnent ; mais Silène est absent ; il titubait sous le poids de l'âge et du vin, lorsque des paysans phrygiens, l'ayant surpris, l'ont conduit, enchaîné avec des guirlandes de fleurs, au roi Midas, que le Thrace Orphée et Eumolpe, né dans la ville de Cécrops, ont initié aux orgies. A peine Midas a-t-il reconnu l'ami du dieu, le compagnon associé à ses mystères, qu'il célèbre l'arrivée d'un tel hôte par des fêtes joyeuses pendant deux fois cinq jours et autant de nuits consécutives ; déjà pour la onzième fois Lucifer, dans les cieux, avait emmené avec lui l'armée des étoiles, lorsque le roi, tout joyeux, arrive dans les champs de la Lydie et rend Silène au jeunedieu qui fut son nourrisson. Celui-ci lui permet, faveur agréable mais pernicieuse, de choisir une récompense à son goût, tant il est heureux d'avoir retrouvé celui qui l'éleva. Midas devait abuser du cadeau : « Fais, dit-il, que tout ce que mon corps aura touché se convertisse en or aux fauves reflets. » Liber exauce ce souhait et s'acquitte en lui accordant unprivilège qui lui sera funeste, avec le regret qu'il n'ait pas fait un vœu plus sage.
Le héros du Bérécynthe s'en va content; il se félicita de ce qui doit faire son malheur et, pour s'assurer que la promesse n'est pas vaine, pour éprouver son pouvoir, il touche tout ce qu'il rencontre ; se fiant avec peine à lui-même,il cueille sur une yeuse de faible hauteur un rameau que couvre un vert feuillage : le rameau est devenu un rameau d'or ; il ramasse une pierre : la pierre aussi a pris la pâle couleur de l'or ; il touche une motte de terre : à ce contact puissant la motte devient un lingot ; il coupe des épis secs, dons de Cérès : sa moisson était d'or ; il tient dans sa main un fruit qu'il vient de cueillir sur un arbre on croirait que c'est un présent des Hespérides ; applique-t-il ses doigts sur les hautes portes de son palais, on voit ces portes lancer des rayons ; quand il a baigné ses mains dans une eau limpide, cette eau qui ruisselle de ses mains aurait de quoi tromper Danaé. A peine peut-il lui-même contenir les espérances qui s'offrent à son esprit ; dans son imagination il voit tout en or. Ravi d'aise, il prend place devant la table que ses serviteurs ont chargée de mets et où abonde le froment grillé ; mais alors, si sa main touchait les dons de Cérès, les dons de Cérès durcissaient à l'instant ; s'il s'apprêtait à déchirer les mets d'une dent avide, ces mets disparaissaient, dès qu'il y portait la dent sous une lame du fauve métal; s'il mêlait à une eau pure la liqueur dudieu qui l'avait exaucé, on voyait de l'or fondu couler entre ses lèvres ouvertes. Epouvanté d'un mal si nouveau, à la fois riche et misérable, il ne demande plus qu'à fuir tant d'opulence et ce qu'il avait souhaité naguère lui fait horreur. Au milieu de l'abondance, il n'a pas de quoi apaiser sa faim ; la soif dessèche et brûle son gosier ; il maudit cet or qui lui vaut des tourments trop mérités ; levant vers le ciel ses mains et ses bras resplendissants : « Pardonne, s'écrie-t-il, dieu des pressoirs, ô notre père ; c'est ma faute ; mais prends pitié de moi, je t'en supplie ; arrache-moi à ce brillant fléau. » La puissance des dieux est indulgente ; le coupable avouait Bacchus lui rend sa nature première et retire la faveur que fidèle à ses engagements, il lui avait accordée : "Tu ne peux pas, lui dit-il, rester enduit de cet or que tu as si imprudemment souhaité ; va-t'en vers le fleuve voisin de la grande ville de Sardes et, en remontant son cours entre les hauteurs de ses bords, poursuis ta route jusqu'à ce que tu arrives à l'endroit où il prend naissance ; alors, quand tu seras devant sa source écumante, là où il jaillit en flots abondants, immerge ta tête sous les eaux ; lave en même temps ton corps et ta faute. » Le roi, docile à cet ordre, se plonge dans la source ; la vertu qu'il possède de tout changer en or donne aux eaux une couleur nouvelle et passe du corps de l'homme dans le fleuve ; aujourd'hui encore, pour avoir reçu le germe de l'antique filon, le sol de ces campagnes est durci par l'or qui jette ses pâles reflets sur la glèbe humide.
Midas, dégoûté de la richesse, préférait à tout les forêts et les champs et le dieu Pan qui a pour séjour ordinaire les antres des montagnes ; mais son intelligence était demeurée épaisse et sa sottise allait lui être fatale encore une fois. Dominant une vaste étendue de mer, le Tmolus dresse à une grande hauteur sa cime escarpée et il allonge ses deux flancs, d'un côté jusqu'à Sardes, de l'autre jusqu'à l'humble Hypaepa. Là Pan vantait aux jeunes nymphes son talent musical et modulait des airs légers sur ses roseaux enduits de cire ; il eut alors l'audace de dire avec mépris que les accords d'Apollon ne valaient pas les siens ; soumettant le débat au Tmolus, il engagea une lutte inégale. Le vieillard pris pour juge s'assied sur sa montagne et il écarte de ses oreilles les arbres de la forêt ; seulement des feuilles de chêne couronnent sa chevelure bleuâtre ; des glands pendent autour des méplats de ses tempes. Regardant le dieu des troupeaux , « Le juge est prêt », dit-il. Pan fait résonner sa flûte rustique, dont la sauvage harmonie charme Midas, alors présent à côté du musicien ; lorsque Pan a terminé, le dieu du Tmolus se tourne vers Phébus ; la forêt qui l'entoure suit le mouvement de son visage. Phébus, dont la tête blonde est couronnée d'un laurier cueilli sur le Parnasse, balaie la terre de sa robe, teinte dans la pourpre de Tyr ; sa lyre, sertie de pierreries et d'ivoire de l'Inde, est posée sur sa main gauche ; l'autre tient le plectre ; son attitude même révèle un maître de l'art. Alors son pouce habile fait vibrer les cordes et, ravi de la douceur de ses accords, Tmolus invite Pan à reconnaître que la cithare, a vaincu ses roseaux. La sentence rendue par le dieu de la montagne est approuvée de tous ; il n'est pour l'attaquer et la déclarer injuste que le seul Midas ; le dieu de Délos ne veut pas que des oreilles si grossières conservent la forme humaine ; il les allonge, les remplit de poils gris ; il en rend la racine flexible et leur donne la faculté de se mouvoir en tous sens ; Midas a tout le reste d'unhomme ; il n'est puni que dans cette partie de son corps ; il est coiffé des oreilles de l'animal aux pas lents, celles de l'âne.
Il voudrait cacher une laideur dont il a honte ; il essaie de voiler sa tête sous des bandeaux de pourpre; mais le serviteur qui avait l'habitude de raccourcir avec le fer ses longs cheveux s'en est aperçu ; celui-ci n'ose pas révéler la difformité qu'il a surprise, quoiqu'il brûle de la raconter tout haut et qu'il soit incapable de se taire ; alors il se retire à l'écart et fait un trou dans le sol; il y rapporte, à voix basse, quelles oreilles il a vues à son maître, il murmure la nouvelle dans la terre creusée par ses mains ; puis, y rejetant ce qu'il avait enlevé, il enfouit son secret et, la fosse comblée, il s'éloigne en silence. Une épaisse forêt de roseaux frissonnants se mit à croître en ces lieux ; quand l'année, ayant achevé son cours, les eût mûris, ils trahirent le cultivateur ; car, balancés au souffle léger de l'auster, ils répètent les paroles enfouies par le serviteur, ils publient ce que sont devenues les oreilles de son maître." 566

Plusieurs auteurs ont tenté d’expliquer la présence de Midas en Europe au moment de sa rencontre avec le silène. Hérodote signale que le lieu de la rencontre avec le silène se trouve en Macédoine :

‘"So the Temenidae came to another part of Macedonia and dwelt there, near what are called the Gardens of Midas, son of Gordias. In these gardens there grow, without planting, roses, each bearing sixty blossoms and in scent exceeding every rose anywhere. In these gardens was Silenus captured, as the Macedonians tell the story; above them is the mountain called Bermius, which none can ascend because of the cold." 567

L'origine mythique de Midas serait aussi liée à sa filiation avec Cybèle, qui transparaît en partie en Phrygie sur le "Tombeau de Midas" qui pourrait être un monument cultuel commémoratif 568 .

Notes
564.

DREWS, 1993, 16.

565.

Ibid., 9-26.

566.

OVIDE, Méta., IX. Traduction Lafaye.

567.

HER. VIII. 138.

568.

BRIXHE, LEJEUNE, 1984, 6. Cf. 3. 6. Les inscriptions phrygiennes. 3. 6. 1. Yazılıkaya. Chap. 6. Sculpture. 6. 1. Les façades monumentales.