7. 1. 1. 1. La Méditerranée de l'ouest et Troie

Au cours de l'Helladique Récent, de la céramique comparable à celle de Gordion est apparue en Grèce 1290 . Cette céramique dite "Barbare" se trouve à Sparte et plus à l'est jusqu'à Chypre, elle serait la preuve de la présence d'envahisseurs venus du nord dans le sud de la Grèce au début de l'HR III C 1291 . La céramique à boutons ou "Knobbed ware" de Troie VIIb serait liée aux productions des Balkans, de Thrace bulgare (par exemple Tell Razkopanica 1292 ). Une prospection en Thrace turque sous la direction de M. Özdoğan a révélé que la céramique non tournée brunie est très commune surtout autour de la mer de Marmara, alors que dans la partie occidentale de l'Anatolie, elle apparaît seulement à Troie 1293 . Par ailleurs, la question demeure du devenir des envahisseurs 1294 . Cent sites avec cette céramique retrouvés en Turquie de l'ouest sont côtiers, seule Troie conserve un caractère spécial par sa situation à l’est, à distance des côtes.

Selon une autre théorie 1295 , la problématique des productions de la transition sur le plateau est indissociable de celle de la Thrace et de l'Egée ; il a été établi que dès le Bronze ancien les relations culturelles entre ces régions étaient intenses 1296 . La plus grande partie du matériel archéologique thrace a des analogies en Anatolie du nord-ouest et en particulier à Troie 1297 . Au Bronze moyen, où les pays ont des évolutions différentes, les similitudes disparaissent 1298 . En ce qui concerne la céramique minyenne grise qui ne peut pas être considérée comme intrusive, elle se serait développée indépendamment en Grèce et en Anatolie du nord-ouest 1299 . La céramique faite à la main découverte en Anatolie, en Grèce et en Thrace attesterait l'existence d'une population étrangère venue probablement des terres bulgares actuelles 1300 . Les premiers exemples se trouvent en Bulgarie du sud-est. Le site de Korakou (Corinthie) a fourni de la céramique non tournée mais pas de niveau de destruction ce qui tendrait à confirmer une hypothèse selon laquelle deux communautés ethno-culturelles ont évoluées séparément en Thrace et en Anatolie du nord-ouest d’une part, en Grèce d'autre part 1301 . Les contacts entre les deux groupes entraînent des similitudes. On constate que Katintcharov assimile le groupe thrace à celui anatolien du nord-ouest, ce qui suggère qu'il n'y a pas de différence culturelle entre les deux.

Du point de vue de Troie, la guerre évoquée par la mythologie aurait permis aux Grecs de régler les conflits internes entre différentes tribus 1302 . Les envahisseurs du nord se dirigent vers la Grèce puis vers l’Anatolie 1303 . Selon une autre théorie, l’apparition des vases faits à la main serait le résultat d’un groupe mineur de personnes dépourvues d’influence, indépendamment de toute importation 1304 . Une autre explication serait, lors de la chute du pouvoir, l’émergence d’une population portant peu d'intérêt à la céramique de bonne qualité 1305 . Mais ce modèle ne fonctionne pas à Troie. Dans les niveaux VIIB2, on trouve des productions HR IIIC, faites à la main de type knobbed ware. Toutes les productions à tenonset certaines autres incisées sont nouvelles. Les types incisés apparaissent en Roumanie à Babadağ dans la Dobroudja, à Psenicevo, à Gabarevo et sur d’autres sites dans la plaine de la Maritsa près de Plovdiv. La distribution de cette production suffit à l’appeler thrace :

‘“The fluted and knobbed pots came out of the south-eastward movement of Hungarian ‘Gava’ urnfields, along the lower Danube and into north-western Bulgaria.” 1306

Le groupe incisé et imprimé possède un double héritage : d’une part des pots grossiers de culture Noua et de l’extension de celle de Coslogeni (nord-est de la Bulgarie), de l’autre les types plus fins incisés de la transition du Bronze moyen du Danube : Cîrna, Gîrla Mare et Monteoru. Cela nous conduit à une céramique caractéristique du Bronze récent de la Dobroudja au mont Rhodope et en Troade. Sur les sites de Korakou (Corinthie), d’Argolide, d’Attique, d’Eubée, de Phocide et dans les niveaux VIIb 1-2 de Troie, la céramique faite à la main et brunie ne ressemble pas aux modèles mycéniens traditionnels. Mais il apparaît peu probable qu’elle ait été importée pour des raisons esthétiques. Sa découverte atteste la présence d'une population étrangère dès le début de l’HR III C 1307 . Parallèlement à l’utilisation de cette nouvelle céramique, les vases tournés sont toujours en usage. Troie ne semble pas le lieu de “naissance” du nouveau type car on trouve les productions du type grossier dans le niveau Troie VIIb1 et celles à boutons à Troie VIIb2. Sur d’autres sites 1308 , les deux apparaissent ensemble. Selon Sams, il s'agit de deux classes d'une même tradition céramique 1309 qui ont toutes deux des liens avec des productions étrangères. Entre Troie VII qui se termine selon Blegen vers 1100 et le niveau VIII des environs du VIIIe siècle le hiatus n'est toujours pas compris. Sams a évoqué la possibilité que Troie VIIb ait duré plus longtemps ce qui éliminerait le hiatus, mais cette hypothèse n'expliquerait pas qu'il n'y ait pas eu d'expansion vers l'ouest et qu'il n'y ait pas d'importation égéenne jusqu'au VIIIe siècle. La céramique de Gordion faite à la main, semblable à celle de Troie, avec des décors de bandes plastiques, de pointillés ou avec des traits diagonaux, des lignes horizontales ou en chevron incisées sous le bord n’a pas de parallèles en Egée. Rutter et French proposent de voir deux vagues d’invasions en 1290/80 ou 1200 et en 1190/80 ou 1120, ce qui pose la question de l’identité des nouveaux venus et de leur culture. Il existe des problèmes de chronologie en Grèce concernant le HR III C et le submycénien 1310 , les datations des invasions ne sont donc pas établies par des comparaisons avec la chronologie grecque. La poterie faite à la main et brunie n’a pas été identifiée avant 1965 1311 à Mycènes. De même, certains exemplaires (provenant de Lefkandi en Eubée) ont été écartés car ils ont été identifiés comme des produits de l’Helladique Moyen, semblables par la pâte mais différents par les formes 1312 . Les formes les plus fréquentes au début de l'âge du fer sont les bols profonds avec un bandeau décoratif sous la lèvre, les petits pichets ainsi que les anses allongées. Cette céramique a une pâte assez épurée sans inclusion évidente. Les parois sont épaisses avec des surfaces très brunies. La cuisson donne un cœur noir foncé avec une surface brun foncé souvent marbrée ou tachetée. Ces productions sont communes de 1225 à 1150 soit à l'HR III B et au début de l'HR III C.

L'apparition de ces productions est encore plus énigmatique à Gordion. Cette nouvelle technique n’est utilisée que pendant une courte période, difficile à évaluer. Les productions non tournées sont interprétées comme la marque de la présence d'envahisseurs venus du nord ; alors qu'en Grèce, ils apparaissent comme des produits locaux 1313 . E. French a suggéré que le style était originaire du nord mais que les envahisseurs n'ont importé que l'idée de faire de la céramique à la main. Elle constate que le problème est semblable avec la poterie mycénienne IIIC à Chypre ou au Levant, où tous les exemples semblent faits sur place 1314 . L’apparition de nouvelles productions succédant aux destructions n’est pas établie ; à Mycènes et à Lefkandi la nouvelle vaisselle est attestée avant et après les anéantissements 1315 . A Gordion, elles n'apparaissent qu'après l'abandon ou la destruction du site, à la suite d'un hiatus. Il nous semble hasardeux de réduire une population à un type de céramique, comme l'a constaté F.D. Harvey :

‘"The presence of any pottery of any given state at any given site is no evidence for the activity of traders (or indeed settlers) from that state at that site." 1316

Dans le cas du plateau anatolien, cette remarque suggère que les invasions européennes ne doivent pas être soutenues uniquement par la présence de la céramique non tournée.

Notes
1290.

FRENCH, RUTTER, 1977, 111-112.

1291.

RUTTER, 1975, 20. CATLING, 1981, 71-82.

1292.

STEFANOVICH, 1974, 101-105.

1293.

ÖZDOĞAN, 1987, 5-39.

1294.

Ibid., 13.

1295.

KATINTCHAROV, 1989, 68-85.

1296.

Ibid., 69.

1297.

Ibid., 70.

1298.

Ibid., 72.

1299.

Ibid., 75.

1300.

Ibid., 84.

1301.

Ibid., 85.

1302.

SANDARS, 1978, 191.

1303.

Ibid.

1304.

Ibid.

1305.

Ibid., 192.

1306.

Ibid., 193.

1307.

FRENCH, RUTTER, 1977, 111-112.

1308.

Ibid.

1309.

SAMS, 1992, 56-60.

1310.

HANKEY, 1988, 33-37.

1311.

FRENCH, 1989, 277-282.

1312.

Ibid., 278.

1313.

Ibid., 1990, 13.

1314.

FRENCH, 1986, 117-118.

1315.

MUHLY, 1992, 13

1316.

HARVEY, 1976, 211.