7. 1. 1. 2. Gordion

A l’âge du Bronze, à Gordion, au vu des dernières données obtenues par les fouilles de M.M. Voigt, les caractéristiques essentielles de la céramique sont la simplicité et la standardisation. Ces deux notions impliquent l’existence de potiers spécialisés et de production de masse, ce qui suppose une économie relativement complexe 1317 . La fin de l’âge du Bronze 1318 se signale par une couche contenant quelques exemples de poterie grise et ocre faite à la main. La poterie faite à la main brune et grise est généralement grossière et sableuse, avec une cuisson ocre, gris foncé ou de tons intermédiaires, des surfaces sobres, lissées ou engobées. La caractéristique essentielle est le décor du bord ou de la panse avec des incisions ou des impressions ainsi que des décors plastiques. Quelques exemples apparaissent dès les niveaux de transition des Mégara 10, couche 4 et 12, niveau IVB, dans des contextes dominés par des productions de la fin de l'âge du Bronze, chamois et orange 1319 . Cette poterie faite à la main a des affinités avec des vases de provenance étrangère, de Troie VIIb2 1320 et de sites de la transition entre l'âge du Bronze et celui du Fer de Grèce, de Bulgarie et de Yougoslavie. Ces sites ont révélé ce phénomène connexe (l'apparition d'une nouvelle production de céramique grossière, non tournée) dont les rapports commencent à être définis et compris selon Gunter 1321 . Par rapport à celle de Troie, la céramique gordienne possède des caractéristiques propres ; le motif courant en spirale imprimé-incisé, par exemple, est absent à Gordion. Il y existe une beaucoup plus grande variété et richesse de motifs incisés. Même si la céramique de Gordion est très élémentaire, les parallèles en Europe du sud-ouest ne présentent jamais les mêmes combinaisons de profils et de couleurs. Les similitudes se trouvent sur des exemples précis en petit nombre, pl. 85 1322 . Les différences fondamentales suggèrent que les connexions n'étaient pas directes entre les deux assemblages 1323 .

‘"The differences could be chronological in nature, or they could reflect regional, perhaps tribal variation." 1324

Les sondages sous le Mégaron 10 ont révélé dans la couche 4 un petit nombre de tessons faits à la main et deux tessons tournés gris phrygiens 1325 , les couches postérieures de 3 à 1 ont livré de la céramique de la fin de l'âge du Bronze, des tessons non tournés et un pourcentage croissant de production grise phrygienne. Ces derniers tessons sont postérieurs à la période étudiée dans cette partie, leur présence reflète un contexte bouleversé, des infiltrations ou une coexistence des différentes productions. Ces niveaux ont fourni 50 à 60 % de céramique du Bronze récent, le reste étant constitué de tessons de la transition et phrygiens. Plus on se rapproche de la surface plus la proportion de tessons gris phrygiens augmente 1326 . Dans le sondage sous le mégaron 12, l’apparition de poterie tournée avec des formes inhabituelles ou avec des concentrations de mica en surface ainsi que les vases non tournés et phrygiens signalent le dernier niveau de l'âge du Bronze. Dans le même contexte, on rencontre des productions modelées grises ou ocres et de la céramique phrygienne grise. Il semble donc que la production du Bronze récent persiste pendant le début de l’utilisation des poteries grises, même s’il y a très peu de tessons de ce type.

Dans les niveaux fouillés à partir de 1989 à Gordion, le premier niveau 7B atteste de mélange de céramique hittite et d'exemples non tournés, donc d’une coexistence entre les envahisseurs et les populations locales 1327 . Une datation de la transition aux XIe-Xe siècles serait comparable aux datations de Troie VIIb. Il n’y a aucune indication d’une participation des étrangers à la chute de l’empire, ni de prise du site par la force. Le niveau suivant voit la réapparition de la céramique tournée qui ressemble aux productions phrygiennes. Un développement considérable a eu lieu. Malgré les allégations d'indépendance de la céramique non tournée par rapport aux productions de l'âge du Bronze, Sams affirme :

‘"From the archaeological point of view, however, it seems likely that what we call Phrygian civilization emerged in Anatolia from an amalgam of European and Anatolian elements." 1328

Pour l'auteur, destructeurs et Phrygiens étaient indépendants, bien que la culture de l'âge du Fer soit issue d'un mélange de culture anatolienne et européenne 1329 . Donc pendant un temps, l’influence anatolienne aurait disparu pour réapparaître ensuite.

A Gordion, très peu de céramique provient de contextes fiables du fait du manque de niveaux fouillés. L’impression générale est celle d’une continuité entre les productions de la fin de l'âge du Bronze et de la transition. Le premier niveau du Fer ancien est marqué par des variétés de poterie d'un style nouveau, étranger à la tradition hittite. Les nouveaux types viendraient d’apports extérieurs au site. Certaines formes hittites (flasques à nervure centrale) disparaissent. La coexistence des différents types pose quelques problèmes :

‘«Coexistence of Hittites and Phrygians is surely critical to the notion that Early Iron Age pottery of handmade manufacture developed into wheelmade gray wares primarily as a result of close contact with local potters working in Late Bronze Age traditions." 1330

Les différences techniques et typologiques des vases non tournés seraient la conséquence de l’introduction de nouvelles populations au XIIe siècle. Sams affirme que si les Phrygiens n'étaient pas présents, même sporadiquement parmi les fabricants de céramique non tournée ils sont apparus lors des mouvements de populations amenant continuellement des gens du sud-est de l'Europe en Anatolie 1331 . En revanche :

‘"The Late Bronze ceramic sequence, as analysed by Ann Gunter, extends typologically to the end of the Hittite Empire, suggesting that Anatolians continued to occupy the site at least until the Hittite collapse, c. 1200 B.C. In the absence of a clear stratigraphical marker in the limited soundings to indicate either abandonment or destruction, an integrated Euro-Anatolian community is possible. Indirect ceramic evidence could suggest a cultural overlap." 1332

Les fouilles de M.M. Voigt ont révélé une stratigraphie complexe pour la période de la transition de l'âge du Bronze à celui du Fer. Les deux niveaux 7A et 7B sont antérieurs à la période phrygienne 1333 . Le niveau 7B contient une majorité de tessons chamois du Bronze récent, cependant il semble s’agir essentiellement de matériel intrusif. Les formes produites au Fer ancien sont peu nombreuses et simples : des bols (ronds, carénés et coniques), des jarres à large embouchure, des vases à grande ouverture 1334 . Chaque vase est différent dans les détails (décors et éléments de préhension). Les dégraissants sont pour l’essentiel minéraux, des grains de sable grossier. La friabilité caractéristique suggère une température de cuisson assez basse aux environs de 600-700°C 1335 . Plusieurs techniques simples de formation étaient utilisées comme l'enroulement, l'utilisation de plaquettes et de pincements. Les surfaces étaient traitées de façon différente, parfois lissées, avec un self-slip ; le brunissage caractéristique se trouve à l'intérieur et à l'extérieur des vases, y compris des jarres. Les couleurs de la surface et du centre varient de l'ocre au brun foncé et au brun-gris foncé presque noir. Lors du colloque de Mersin sur l'âge du Fer, les fouilleurs de Gordion ont signalé que les dernières études de pâte ont révélé que l’argile des premiers vases non tournés n'était pas de provenance locale 1336 . Les vases non tournés plus récents étaient faits avec une argile provenant des environs de Gordion, du fleuve Sakarya. Ces productions n'ont aucun lien typologique avec les vases du Bronze récent. Cet assemblage de céramique daterait des environs de 1000 selon M.M. Voigt.

Le niveau 7A est marqué par l'apparition des vases de couleur chamois. Les vases non tournés sont absents dans ces contextes, ainsi que les productions grises phrygiennes, seule une fosse a livré quelques tessons fait à la main et du Bronze récent. Son existence donne à penser qu'une partie des céramiques non tournée et chamois sont contemporaines. L'incendie qui a détruit le bâtiment Burnt Reed House a recuit la poterie, ce qui rend impossible la détermination des couleurs originales, des traitements de surface et des variations de pâtes. Le dégraissant était du sable de grain moyen. La température du feu a pu atteindre 1100°C. Il est possible que la typologie ne soit pas complète ; selon Henrickson, les formes sont simples et les fonds plats plus nombreux qu'au Bronze récent, où les fonds coniques et ronds abondent. Quelques-uns des petits vases ont pu être tournés, alors queles grands modèles étaient faits à la main et finis à la tournette, pl. 86-88 1337 . Il semble que les vases de taille moyenne aient été construits sur une plaque avant d'être finis au tour lent. La production ressemble à celle d'un spécialiste plus qu'à une économie domestique. Cet assemblage ne concorde pas avec les productions 7B ou du Bronze récent. Les formes et les bords ne s'apparentent pas à ceux de 7B mais les fonds plats y sont plus fréquents. Les techniques de formation, d'assemblage et de finition sont différentes ; au niveau 7A, on note l'utilisation de la tournette et du tour et de températures de cuisson beaucoup plus élevées en atmosphère oxydante. Toutes les formes sont encore utilisées dans l'ancien niveau de destruction phrygien, une fosse a livré de la céramique de type 7B et Bronze récent avec de la céramique chamois. Cette dernière est beaucoup plus dure, les dégraissants sont plus fins et moins nombreux, elle a été cuite en atmosphère oxydante à une température de 900-1000°C, alors que la céramique 7B l'était à 600-700°C. Les surfaces étaient lissées à l'eau, aucune trace de brunissage n'a été retrouvée. Les poteries ressemblent à celles trouvées dans la Burnt Reed House.Les seules formes diagnostiques sont les bols à profil découpé, pl. 89 1338 , qui sont absents du bâtiment BRH ; en revanche, ils ont été identifiés lors des fouilles menées par R.S. Young 1339 . La céramique chamois n'a pas d'antécédents locaux. Les deux types de céramiques non tournées et chamois sont étrangers à la région et n'ont aucun lien technique ou typologique entre eux. La céramique du niveau 7A n'a pas pu se développer à partir de celle du niveau 7B. Tandis que les premiers vases correspondent aux productions du nord-ouest de l'Anatolie, de Thrace et des Balkans, les seconds ont une origine incertaine. Il est possible que les deux types correspondent à deux phases d'infiltration mais pour Henrickson les différences auraient plus de sens comme deux classes d'une même tradition céramique d’influence étrangère. Les productions chamois ont des similitudes avec les poteries du niveau de destruction, ce qui a conduit Henrickson à supposer que :

‘"The YHSS 7A phase of the EIA may represent an early episode in the Phrygian occupation of Gordion…" 1340

Dans cette situation complexe, on peut espérer des données provenant d'autres sites fournissant des modèles confortant l'hypothèse de deux catégories contemporaines :

‘"Historical and ethnographic studies show that more than one ethnic or social group (or ceramic assemblage) can be found side by side in a given geographical region, and this is, after all, a transitional period." 1341

Pour ce qui est des implications socio-économiques, les problèmes concernant les origines, les relations avec les autres groupes et les possibles corrélations ethnolinguistiques avec des types de céramiques restent non résolus. Henrickson constate l'existence de théories sur la migration des peuples du sud-est de l'Europe dans les Balkans, la Grèce et l'Anatolie.

Henrickson admet que la céramique non tournée est un apport extérieur, peut-être dû aux Phrygiens mais il rappelle la théorie de Small selon laquelle l'apparition d'une céramique faite à la main pourrait provenir d'unchangement économique plus que d'une migration 1342 . Ainsi la chute de l'Empire hittite avec son système économique et la standardisation de la production ont rendu impossible la poursuite de la production-même et ont entraîné l'apparition d'une nouvelle céramique. Le changement économique est très visible entre YHSS 8 et 7B. L’aspect extérieur des céramiques est généralement grossier, poli, avec des excisions ou impressions, la couleur varie du noir au brun. Les dégraissants minéraux incluant parfois du mica sont en proportion variable. Les vases portent souvent des tenons.

Notes
1317.

HENRICKSON, 1994, 106.

1318.

Vue à travers les fouilles de R. S. Young.

1319.

GUNTER, 1991.

1320.

CANER, 1991. SAMS, 1994a.

1321.

GUNTER, 1991, 30.

1322.

Cf. Pl. 85.Bol Incisé, Gordion. SAMS, 1992, fig. 8.1 ressemble aux bols de BLEGEN, 1958, fig. 218 Forme A 101 et 259: 37.1011.

1323.

SAMS, 1992, 56-60.

1324.

Ibid., 59.

1325.

La définition du terme de céramique phrygienne sera évoquée dans la partie 7. 2. Les IXe et VIIIe siècle et 7. 2. 1. 1. La céramique grise, concernant ces productions.

1326.

SAMS, 1992, 38.

1327.

HENRICKSON, 1994, 106.

1328.

SAMS, 1997, 245.

1329.

SAMS, 1992, 56-60.

1330.

Ibid., 95.

1331.

SAMS, 1992, 57.

1332.

SAMS, 1988, 9.

1333.

Cf. 7. 2. Les IXe et VIIIe siècle, 7. 2. 1. 1. La céramique grise

1334.

Cf. 7. 1. 2. Catalogue

1335.

Ibid., 107.

1336.

Cette communication n’a malheureusement pas été publiée dans les actes du colloque parus dans A.S. 1999.

1337.

Cf. Pl. 86-88, Tableaux des technologies et de l'organisation de la production, Gordion. HENRICKSON, 1994, table 1-2, 101-102.

1338.

Cf. Pl. 89. YHSS 7A, Vases provenant d’une fosse, Gordion. Ibid., Fig. 10. 4. b.

1339.

GUNTER, 1991, fig. 19. 390, 27.577-579, 25.545, 26.569, 27.585.

1340.

HENRICKSON, 1994, 110. YHSS : Yassıhüyük Stratigraphic Sounding. EIA : Early Iron Age.

1341.

HENRICKSON, 1994, 110.

1342.

HENRICKSON, 1994, 95-129.