7. 2. 1. 1. La céramique grise

La céramique grise est aussi appelée phrygienne car on la trouve en abondance à Gordion 1411 . La céramique simple est faite au tour et à la tournette ; elle est standardisée, alors que d'autres vases sont plus élaborés. Elle est cuite en atmosphère réductrice ce qui lui confère sa surface grise d'intensité variable. L'aspect varie en fonction de la présence d'un engobe ou de mica, du lissage ou du polissage de la surface. L'application sur les vases monochromes est rare, alors qu'elle est très fréquente ou même indissociable des vases peints 1412 . Le début de la période phrygienne se situerait à la fin du Xe siècle et surtout au IXe. Selon Sams, le territoire phrygien proprement dit serait restreint avant les invasions cimmériennes : Gordion, Ankara, la ville de Midas et peut-être Alaettintepe 1413 . Les productions grises ont souvent été considérées comme un facteur déterminant de la présence phrygienne hors les affirmations de Sams viennent contredire cette idée. L'évolution des productions grise est très lente ce qui explique que les modèles soient pratiquement les mêmes au IXe et au VIIe siècle. Il est très difficile de dater les productions sur les autres sites du plateau mais Sams part du postulat que le territoire phrygien ne s'est étendu qu'après les invasions et que donc soit le matériel est postérieur, soit c'est une importation qui n'implique pas l'existence d'un site phrygien. La poterie est bien faite et utilitaire, rarement décorée sauf pour les productions de luxe.

La phase, dite 6B lors des nouvelles fouilles de M. M. Voigt, marque le début de la période phrygienne de 950-700 environ. Il semblerait que Gordion acquière une certaine importance politique à partir du IXe siècle, notable par la présence d'une enceinte et d'une production céramique standardisée 1414 . Dans les niveaux antérieurs à la destruction par les Cimmériens, les vases gris représentent 80 % des bords de vases monochromes. Dans les tumuli anciens 1415 , ils constituent la seule production non peinte 1416 . Cette préférence pour les vases non décorés a conduit les producteurs à affiner leurs techniques de fabrication et à y ajouter du mica. Les techniques de cuisson sont semblables à celles des vases non tournés en atmosphère réductrice plus ou moins complète. Ces similitudes, ainsi que les pâtes soigneusement lissées et polies et la présence de mica, ont conduit K. Sams à suggérer une parenté entre les deux productions (non tournées et grise), bien que l'évolution soit inconnue 1417 . De même selon Mellink, les productions grises monochromes tournées seraient issues de la céramique non tournée foncée apportée par les immigrants d'Europe 1418 . Pendant la période phrygienne, les potiers locaux reproduisent de la vaisselle étrangère (européenne) mais en utilisant des techniques locales plutôt que celles des exportateurs 1419 . Il est possible que l'une des étapes intermédiaires du passage de la céramique non tournée à aux vases gris se retrouve dans la phase NCT 1420 IVb 1421  : il existe ainsi des ressemblances dans la matière et la finition entre le bol hémisphérique dit 220 par Samset la tasse à anse en boucle 215 1422 . D'autres exemples provenant du même contexte sont des productions anciennes 1423 .

‘"All four, 222-225, conceivably belong to a time of cultural intermingling, when indigenous potters were learning from newcomers the technique of reduction firing and applying it to their own ceramic tradition." 1424

Deux des formes (223-224, grands vases de type pithoi) ne se sont pas perpétuées alors que deux autres (222, 225, vases fermés de plus petite taille que les précédents) se sont développées.

Dans le niveau de destruction, à la fin du VIIIe ou au début du VIIe siècle, sur 1200 vases, un peu moins d'une centaine sont certainement de couleur grise, l'incendie ayant rendu impossible l'identification de la plupart des couleurs. L'unité stratigraphique située entre les mégara 9 et 10 épargnée, a livré presque exclusivement des vases gris. Dans tous les niveaux on ne peut envisager un seul type de céramique grise, mais plusieurs à cause de la grande variété de couleurs de la surface et de la pâte. Les deux types de cuisson en atmosphère réductrice ont donné : une surface grise, une pâte brun-rouge ou brun clair et un cœur gris, réduction partielle ou, une surface et une pâte grise, réduction totale. Il est difficile d'interpréter cette différence car le résultat de surface est le même, peut-être s'agit-il de deux traditions contemporaines qui perdurent ou de problème de cuisson. Cependant on peut établir que plusieurs vases des niveaux de l'Early Phrygian Building 1425 V et du remplissage de la terrasse, de grandes amphores et des jarres de stockage présentent une réduction partielle. Alors que les plus petites formes de ces niveaux et d'autres antérieurs à la destruction utilisent les deux méthodes:réduction partielle et totale. Dans les tumuli W, P, MM, X, Y, c'est la technique de la réduction partielle qui domine, alors que dans le tumulus III les deux techniques sont représentées. Les surfaces dans tous les cas sont souvent de couleur irrégulière surtout pour les réductions partielles, à cause de la difficulté à maintenir une atmosphère réductrice constante. Les traces de mica et les différences des finitions de surface accentuent encore l'absence d'homogénéité de l'aspect des vases. Dans les niveaux antérieurs et contemporains de la destruction, les nuances les plus fréquentes sont le gris ainsi que le gris foncé ou très foncé qui se rapproche parfois du noir (parfois du noir poli). Le noir est en général absent des contextes de la destruction dans la citadelle. Les couleurs les moins fréquentes sont les gris très clairs, les tessons avec des surfaces foncées recouvertes de mica ou d'un engobe gris clair sont, eux, habituels. Dans les tumuli, les surfaces très foncées prédominent, gris très foncé et noir. Le nombre des vases noirs augmente des tumuli W à P, MM, X, Y, par un phénomène de mode, ou en raison d'une création spéciale pour les tombes.

A Gordion, il existe un type dit Gray Variegated Ware, qui présente un extérieur gris et un intérieur brun ou brun-rouge. Ce type pourrait être une courte survivance d'un type apparu avec la céramique non tournée. Ces vases, par l'absence de polissage (étant lissé ou fini au tour) et de mica se rattachent à la céramique non tournée. On ne trouve ce type que dans l'Early Phrygian Building III et dans les mégara 10, 2 et 1 1426 .

Parmi les formes utilisées, plusieurs sont communes aux productions monochromes et peintes mais généralement, la vaisselle monochrome a des contours plus élégants avec des détails variés et sophistiqués, des décors sont incisés et imprimés. On trouve sept catégories de base : les bols, les pichets à embouchure ronde, ceux à embouchure trilobée, ceux à bec latéral, les tasses à une anse, les amphores, et les jarres. Certains vases n'appartiennent pas à ces catégories et sont inclassables ; il faut aussi y ajouter les socles et les couvercles. Toutes ces formes se retrouvent dès l'Early Phrygian Building V mais elles atteignent leur sommet esthétique dans le niveau de destruction 1427 . Il est impossible de présenter un catalogue indépendant pour les productions grises, claires et peintes car la plupart des formes sont communes aux différentes catégories.

La céramique grise a été mise au jour sur plusieurs sites dans le territoire phrygien, et au-delà ; à Ankara, dans les tombes des nécropoles proches du mausolée d'Atatürk et de l'université technique 1428 , les formes y sont comparables à celles de Gordion. Cependant, plusieurs éléments dateraient du VIIe siècle au plus tôt 1429 . Quant au site de Yalıncak, il pourrait avoir été fondé par les Phrygiens car la poterie grise y est abondante 1430 .

A la cité de Midas, on trouve de la céramique grise associée à de la céramique peinte, l'une et l'autre comparables à celles de Gordion, mais il n'y existe pas de traces de céramique Alişar IV 1431 .

A Sarhöyük-Dorylaion, plusieurs productions céramiques datent de la période phrygienne moyenne, notamment un pithos, de nombreux tessons gris, des bords de pithoi, des cruches à embouchures trilobées ou à col cylindrique, des petits bols hémisphériques et carénés 1432 .

A Kusura près d'Afyon Karahisar, les productions sont différentes de celles de Boğazköy et Alişar. Aucun exemplaire de céramique peinte ni de céramique noire polie n'a été mis au jour. Lamb pense que la population a occupé le site pendant une courte période à l'âge du Fer. La céramique chamois, rouge ou grise polie, mouillée ou engobée serait typique de cette période. Les tessons noirs grossiers sont rares 1433 .

A Alişar, quelques exemplaires de poterie grise dite phrygienne auraient été identifiés 1434 , ainsi que des vases à surface brun-gris. Certains vases monochromes portent des décors en relief, des animaux ou des cordons. La vaisselle monochrome est gris clair ou foncée, brun gris, brun clair ou rouge. Elle est souvent recouverte d'un engobe chamois rougeâtre ou clair. Il existe peu d'exemples avec un engobe noir, gris, chamois brun, brun-rouge, très lissé.

Les productions grises ont souvent été considérées comme un facteur déterminant de la présence phrygienne. Il y a peu de poterie peinte à Kültepe, pas de céramiques grise ou noire polie comme dans la cité de Midas;, à Gordion ou à Karaoğlan. Une prospection dans les provinces de Kırşehir, Nevşehir, Niğde a révélé des tessons gris tournés avec des profils caractéristiques 1435 . Leur datation exacte est difficile à déterminer en l'absence d'une séquence stratigraphique complète. Il apparaît que même à Gordion, il existe une continuité dans la production des vases gris et de pâte claire, rendant impossible une datation fondée sur la typologie. L'étude de G. Summers de la céramique issue de la prospection de Todd a tenté de déterminer si la limite du territoire phrygien pouvait correspondre à celle de la céramique grise (et des inscriptions), que l’on trouve jusque dans la plaine de Seyfe Gölü, à Sulaca Höyük où elle cohabite avec des tessons Alişar IV géométriques. Kırşehir pourrait représenter la limite sud-ouest de la Phrygie, aucune trace de poterie grise n'étant apparue au sud du Lac Salé. Au nord de Pazarlı, elle se trouve en très petite quantité 1436 . G. Summers a, depuis cette publication, revu son jugement et propose maintenant des datations beaucoup plus récentes, postérieures aux invasions cimmériennes 1437 .

Notes
1411.

AKIM, 1951, 9-20.

1412.

Cf. 7. 2. 2. Céramique peinte de Gordion.

1413.

SAMS, 1994a, 164.

1414.

HENRICKSON, 1994, 111.

1415.

Cf. Chap. 5. Architecture et pratiques funéraires

1416.

A part une amphore rouge dans le tumulus W et une à pâte claire dans le tumulus P.

1417.

SAMS, 1994a, 34.

1418.

MELLINK, 1965, 317-325.

1419.

GUNTER, 1991, 12.

1420.

NCT : North Central Trench.

1421.

Cf. Pl. 519. Tentative de chronologie relative et absolue de la période phrygienne ancienne à Gordion. SAMS, 1994a, Table 2.

1422.

SAMS, 1994a, fig. 17. 220, 215.

1423.

Ibid., vases 222 à 225.

1424.

Ibid., 34.

1425.

EPB : Early Phrygian Building .

1426.

Cf. Pl. 519.Tentative de chronologie relative et absolue de la période phrygienne ancienne à Gordion. SAMS, 1994a, Table 2.

1427.

Ibid.

1428.

FIRATLI, 1959, 203-208.

1429.

ÖZGÜÇ, AKOK, 1947, 57-85.

1430.

TEZCAN, 1966.

1431.

HASPELS, 1951.

1432.

DARGA, 1993, 313-317.

1433.

LAMB, 1937.

1434.

Von der OSTEN, 1930, 116.

1435.

TODD, 1965a, 13-14 ; 1965b, 34 ; 1966a, 15-16 ; 1966b, 43-48 ; 1967, 11-12.

1436.

SUMMERS, 1994, 241-252.

1437.

SUMMERS, communic. pers.