7. 2. 1. 3. Les éléments décoratifs

Pour l'ensemble des céramiques monochromes, les techniques utilisées pour la décoration sont l'incision simple de motifs organisés horizontalement (cordons, bandes, jours), le modelage en relief, les ornements plastiques et l'impression de plusieurs motifs complexes. La plupart se rencontrent sur des vases monochromes mais il en existe quelques cas sur des vases peints. En général, une seule technique est utilisée par vase mais il subsiste des exceptions comme l'usage d'impression avec des bandes en relief et des impressions ou d'incisions avec des cordons protubérants.

Parmi les incisions qui apparaissent dès le début de la période, les rainures multiples se retrouvent encore sur des vases du niveau de destruction. Dans les niveaux antérieurs à la destruction, un petit nombre d'amphores et de grandes jarres de stockage sont décorées ainsi ; en revanche, ces grands vases sont les seuls sur lesquels ce décor soit associé à des motifs incisés 1443 . Les ornements à rainures multiples sont réalisés soigneusement, généralement sur l'épaule et le col, à raison d'un seul motif par vase, placé en fonction de la forme. Un petit nombre de vases comporte plus d'un dessin. Un exemple de décor à rainures multiples a été trouvé à Bolos lors d'une prospection dans les environs de Tokat et Sivas 1444 .

Les décors incisés trouvent peut-être leur origine dans la céramique non tournée 1445 . Ce type de décor semble avoir été essentiellement une caractéristique phrygienne que l'on retrouve dans la ville de Midas 1446 , elle est donc absente à Alişar. On retrouve cette technique à l'ouest où elle est une caractéristique de la céramique géométrique, à Troie et en Thrace 1447 . A l'est, elle apparaît dans le niveau II de Malatya 1448 , sous une influence urartéenne selon Pecorella. Mais il est difficile de prouver que l'une ou l'autre de ces régions aurait contribué à l'apparition du motif à Gordion ; le méandre, fréquent en Eolie, est absent des motifs incisés mais il apparaît dans la ville de Midas 1449 . Selon Sams, le décor incisé s'est peut-être développé localement sous l'impulsion de la céramique peinte 1450 . On retrouve les incisions presque exclusivement sur les grands vases contrairement à la période des vases non tournés où ils apparaissaient surtout sur des bols. Il est rare que plus d'un dessin soit présent sur un même vase, généralement dans une zone étroite limitée par des lignes incisées et dans un secteur sur l'épaule, rarement sur le col. Dans quelques cas le décor est accompagné d'impression 1451 . Sur les plus grands vases, le décor est circonscrit dans des bandes en relief avec des impressions de motifs répétées.

Les principaux motifs incisés sont les lignes ondulées, les arêtes de poisson, les chevrons, les zigzags, les triangles et quelques dessins uniques. La ligne ondulée est très populaire dans la céramique peinte, Sams suggère que son utilisation comme motif incisé en ait été influencée 1452 . Il nous semble au contraire que la technique de l'incision étant déjà en vigueur parmi les céramiques non tournées, celle-ci a pu influencer la peinture, sans possibilité d'avoir confirmation de l'une ou l'autre hypothèse. Le chevron, qui se retrouve aussi en peinture, se rencontre souvent sous la forme d'une bande continue, parfois répétée plusieurs fois sur le vase. Les zigzags sont moins fréquents que les deux sujets précédents ; sur un bol caréné ils côtoient des chevrons enfermés dans des métopes, pl. 114 1453 . Les trois ou quatre exemples de décor en zigzag et chevrons de différents contextes semblent issus d'un même centre de production, en particulier à cause de la présence de pointillés. Les triangles et les motifs de vannerie se rapprochent par leur conception des zigzags. Les triangles fréquemment hachurés n'ont pas de parallèles en peinture. Cette remarque conduit Sams à soutenir que ces derniers et la vannerie sont des modifications de motifs initiaux comme le chevron et le triangle issus de motifs peints. Malgré cette parenté, l'incision ne serait pas une pure imitation de motifs peints mais elle se situerait dans une tradition séparée. De plus la conception est différente : alors que les motifs incisés sont isolés sur le vase et peu variés, les motifs peints remplissent de larges zones et sont très abondants.

Les cordons sont l'un des motifs les plus communs, ils sont utilisés pour articuler, séparer et décorer les vases. Les plus fréquents sont les cordons horizontaux qui sont souvent taillés en pointe ou à angle droit. Depuis le niveau de l'Early Phrygian Building IIb, les cordons simples sont employés pour articuler le col par rapport à la panse du vase. A partir du niveau de destruction, on trouve à cet endroit un double cordon. Ce type de décor aurait des imitations en bronze 1454 . Les cordons placés ailleurs qu'à la jointure du col sont une particularité de la céramique monochrome ; on les retrouve en particulier sur les pichets à embouchure ronde ou trilobée à col étroit, les grandes amphores et les jarres de stockage. Cependant, sur la plupart, le décor est placé sur le col. L'application d'un seul cordon souvent au milieu du col et d'un autre à la base apparaît dès le niveau EPB 1455 IIb et est utilisée jusqu'au niveau de destruction 1456 . Sur certains vases 1457 , les deux cordons sont placés de sorte que l'on a l'impression qu'il s'agit d'une bande ou d'une ceinture. La combinaison de décors peints et de cordon, est rare pourtant il existe un grand cratère avec cet assemblage 1458 .

Les décors en bandes se divisent en deux catégories horizontales et à motifs. Les bandes horizontales ont été largement utilisées à l'âge du Bronze en Anatolie et on les retrouve à Gordion dans le cimetière hittite 1459 . Mais ce type de décor ne réapparaît qu'au niveau EPB V et surtout au niveau de la Terrasse, pl. 505 1460 . On le reconnaît en particulier sur les amphores à large col, alors que sur les autres grands vases son utilisation n'est pas constante. Elles étaient placées sur la panse et/ou le col et parfois décorées d'impressions ou d'incisions. Les bandes ne sont attestées de façon certaine qu'au niveau de remplissage de la terrasse. Au niveau de la destruction, ce type est moins commun que celui des cordons. A cette période, le décor en bande est placé sur la panse combiné avec des cordons surtout sur les amphores à large col. Les bandes à motifs se rencontrent dans le remplissage de la terrasse. Les motifs imprimés sur un bandeau rencontrés en groupes provenant du remplissage de la terrasse, de M4 II et du niveau de destruction 1461 pourraient avoir été fait par le même producteur. Deux groupes d'impression, l'un plus petit avec des rectangles et des triangles et l'autre plus grand avec des cercles et des losanges concentriques, suggèrent une utilisation longue. Ce style de décor trouvé seulement en Phrygie paraît avoir des ressemblances avec du matériel des colonies assyriennes, selon Sams 1462 , mais l'unique parallèle à cette époque se rencontre à Zincirli 1463 . De même, les impressions complexes sur des vases sont absentes hors de la Phrygie 1464 . En plus de ces éléments en relief on trouve aussi des cordons verticaux, et des reliefs découpés 1465 .

Les ornements plastiques sont communs sur les anses, sur la partie haute sous la forme de boudins ou de rouelles ou simulant des rivets au départ de l'anse. On trouve des demi-boudins sur des bols et des jarres de stockage. Les autres types d'ornements sont peu fréquents : quelques boutons et protubérances, un oiseau, un lion, un oiseau de proie 1466 .

Le décor à jours n'est pas très habituel, il est utilisé pour les anses et les supports. Il est vraisemblable que ce type de décor est inspiré par le travail du bronze et du bois. Les ouvertures ont pu avoir une utilité en plus d'une fonction décorative 1467 . Une grande jarre à embouchure circulaire trouvée à Ankara dans le grand tumulus portait une anse ajourée semblable à certains exemplaires de Gordion 1468 . Les motifs des jours ont des formes géométriques: triangles, cercles, rectangles, losanges.

Les vases portant des impressions mis au jour lors des fouilles de R.S. Young, dans la citadelle phrygienne ancienne, sont au nombre de soixante-cinq environ et les deux tiers proviennent de la couche de destruction. Au milieu du VIIIe siècle, apparaît une production imprimée avant cuisson avec une variété de cachets, pl. 106-107 1469 . On la retrouve à la ville de Midas 1470 . Cette technique ne semble utilisée que par les Phrygiens de l’ouest de l’Anatolie centrale. On en trouve des parallèles en Thrace où certains motifs sont semblables, en particulier le S-spiral qui est aussi le premier type de motif estampillé à apparaître à Gordion. Approximativement trente types ont été identifiés, un seul est figuratif, une chèvre, pl. 115-116 1471 . Le contexte le plus ancien est l'EPB V avec trois motifs différents ; quant à la terrasse avec une douzaine de thèmes différents, elle préfigure la profusion du niveau de la destruction 1472 . Les impressions se retrouvent surtout sur des grands vases. Il existe un seul exemple combinant le décor imprimé et peint 1473 . Les empreintes sont placées sur la panse et l'épaule dans des zones isolées ou dans des bandes délimitées par des cordons ou des rainures. L'organisation ressemble à celle des motifs incisés. En dehors de Gordion on trouve ce type d'impression dans la ville de Midas 1474 , malgré des différences chronologiques, ces derniers étant datés du VIIe siècle. On trouve des motifs comparables sur les pithoi-amphores de Grèce orientalisante et il est possible que la Phrygie en ait été la source d'inspiration 1475 car les exemples antérieurs dans la région ont un aspect très simplifié. Les parallèles antérieurs pour les décors d'impression complexe se rencontrent dans les Balkans, dans les plaines de Thrace, dès le Bronze récent sur des sites comme Pshenichevo, Razkopanitza et au Fer ancien dans les régions de Rhodope et de la mer Noire. Plusieurs dessins sont très semblables :

‘"Some, single circles, are admittedly simple motifs that could surface independently almost anywhere, but others of a more complex nature correspond so well to designs at Gordion that coincidence is unlikely." 1476

Dans la céramique non tournée, il n'existe pas de réelle impression de motifs construits mais plutôt des empreintes d'instruments pointus réalisant des ovales ou des points. Cette remarque conduit Sams à constater que si les motifs et la technique viennent des Balkans, ils ont été importés lors de la seconde migration. En Anatolie, il existe des antécédents de céramique imprimée depuis la période des colonies assyriennes jusqu'à la période hittite impériale, mais elle n'était pas populaire dans la région de Gordion. Les motifs ont été considérés comme trop simples 1477 pour pouvoir établir des connexions entre deux traditions différant chronologiquement. En Anatolie de l'ouest, on en trouve régulièrement à Beycesultan mais le catalogue est restreint et contient exclusivement des formes circulaires sur des bandes en relief 1478 . Les motifs sont différents de ceux que l'on retrouve sur la céramique peinte sauf pour les cercles concentriques, lesquelles semblent influencés par la tradition syro-anatolienne 1479 .

Notes
1443.

Ibid., 113.

1444.

DURBIN, 1971, 109, n°54.

1445.

SAMS, 1994a, 113.

1446.

HASPELS, 1951, 77-78, pl. 32, 34.

1447.

SAMS, 1992, 59.

1448.

PECORELLA, 1978, 140-141, pl. 50.

1449.

HASPELS, 1951, pl. 34.

1450.

SAMS, 1994a, 114.

1451.

Ibid., vases n° 244, 922, 1022.

1452.

Ibid., 114.

1453.

Cf. Pl. 114.Bols carénés, incisés et à pied, Gordion. Ibid., Pl. 23, vase n° 482.

1454.

Cf. Chap. 8. Petits objets. 8. 1. 1. 2. Les objets des tombes

1455.

Early Phrygian Building.

1456.

Cf. Pl. 519.Tentative de chronologie relative et absolue de la période phrygienne ancienne à Gordion. SAMS, 1994a, Table 2.

1457.

SAMS, 1994a, 564, 627, 677 etc…

1458.

Ibid., 316.

1459.

MELLINK, 1956, Pl. 11-12.

1460.

Cf. Pl. 519.Tentative de chronologie relative et absolue de la période phrygienne ancienne à Gordion. SAMS, 1994a, Table 2.

1461.

Cf. Pl. 519. Tentative de chronologie relative et absolue de la période phrygienne ancienne à Gordion. SAMS, 1994a, Table 2.

1462.

SAMS, 1994a, 119.

1463.

Ibid.

1464.

Cf. Chap. 9. Synthèse, pour une définition de la Phrygie.

1465.

SAMS, 1994a, 120-121. 876.

1466.

Vases n°102, 859 in Ibid., 122.

1467.

Vases n° 862, Ibid.

1468.

Vases n° 776, Ibid.BULUÇ, 1979, pl. 15.

1469.

SAMS, 1994a, 123-124 ; 1997, 239-248. Cf. Pl. 106 et 107. Catalogue des motifs imprimés, Gordion. SAMS, 1994a, Fig. 60-61.

1470.

HASPELS, 1951, pl. 33.

1471.

Cf. Pl. 115 et 116. Catalogue des motifs imprimés, Gordion. SAMS, 1994a, Fig. 60-61.

1472.

Cf. Pl. 519. Tentative de chronologie relative et absolue de la période phrygienne ancienne à Gordion. SAMS, 1994a, Table 2.

1473.

Vases n°869inSAMS, 1994a.

1474.

HASPELS, 1951, pl. 33.

1475.

Selon Sams, SAMS, 1994a, 124. Contrairement aux hypothèses d'Akurgal, AKURGAL, 1955, 14-56.

1476.

SAMS, 1994a, 124.

1477.

Il s'agit de cercles et de triangles.

1478.

SAMS, 1994a, 124.

1479.

Cf. 7. 2. 2. Céramique peinte de Gordion.