7. 2. 6. La partie sud-est du plateau – Le royaume de Tabal

Dans la partie sud-est du plateau on rencontre un autre groupe céramique, empreint de tradition anatolienne et cilicienne. Les sites de cette région présentent alternativement des parallèles avec une zone ou avec l'autre; cependant les ressemblances céramiques ne sont pas forcément le signe de la présence d'une population donnée :

‘"Some scholars contend that sites south of the Halys, even those with Phrygian writing (Tyana) and pottery (Kültepe, Göllüdağ, Tepebağları, Porsuk) are in Tabal and they may not properly be designated Phrygian." 1646

A Porsuk, le matériel céramique ressemble à celui de Bayat et de Pınarbaşı, près de Bor, à celui de la région comprise entre Aksaray, Karaman et Ulukışla, ainsi qu’à celui de Tepebağları 1647 .

Deux niveaux se partagent le premier âge du Fer de Porsuk : le niveau IV et le niveau III. Le premier, selon Dupré, "peut aussi bien se situer dans le courant du XIe s. av. J.-C. que plus tardivement" 1648 . Les études récentes à Kaman Kalehöyük et Büyükkaya ont montré que la céramique du plateau à cette époque ne ressemblait pas aux exemplaires mis au jour à Porsuk 1649 . Mais Porsuk appartient, au niveau IV, à la sphère culturelle cilicienne ; les parallèles se font avec Tarse et Domuztepe. A Kilise Tepe, site prés de Silifke à l'embouchure du Göksü, la céramique et de la stratigraphie des niveaux du début de l'âge du Fer, en cours d'étude, ont révélé plusieurs niveaux II a-e et le début de f qui recouvre la période entre le XIIe et le 750 1650 . Ce site n'entre pas dans notre zone d'étude nous ne l'évoquons ici que comme élément comparatif pour une datation du niveau IV de Porsuk. Au vu de la céramique, plusieurs conclusions ont pris forme :

Même si la datation de ces niveaux reste problématique, les comparaisons avec les sites de Boğazköy sur le plateau et de Tille Höyük à l'est ont révélé des productions semblables faites à la main avec des motifs peints en rouge 1651 . Cependant aucun matériel semblable n'a été mis au jour à Tarse ni ailleurs 1652 . Porsuk, pourtant voisin de Kilise Tepe 1653 et soumis aux mêmes influences ne possède pas, au vu de la publication de S. Dupré, de céramique non tournée peinte en rouge cohabitant avec des modèles de vases de la fin de l'âge du Bronze. Dupré s'était d'ailleurs montré très prudent dans sa datation. Le premier niveau de l'âge du Fer à Porsuk daterait, par conséquent, du IXe ou du VIIIe siècle.

Au niveau IV, ce serait un site cilicien, un avant-poste destiner à prévenir les invasions venant du nord 1654 . La céramique est une production locale, moins belle qu'à Tarse où elle est lissée 1655 . Mais s'il existe des productions semblables à Domuztepe 1656 , elles sont différentes à Tarse. Parmi les céramiques unies du niveau IV on trouve un exemple de cooking ware 1657 , de la céramique orange, un type à enduit blanc et un autre à enduit rouge. Les céramiques peintes sont à décor monochrome sur fond orange ou sur enduit blanc ou rouge, à décor bichrome sur fond orange ou sur enduit blanc, ou encore à décor trichrome sur les mêmes types de fonds (pour les pourcentages de chaque type se reporter au tableau de la planche 131 1658 ). Les formes ouvertes comprennent des petits bols hémisphériques, des petits bols carénés, des grands bols à bord épaissi, des grands bols à lèvre épaissie, des bols profonds. Les vases fermés comprennent les tasses (au niveau IV), les pichets, les grands pots, les jarres à embouchure ronde, les jarres à col tronconique, les jarres à col cylindrique, les jarres à épaule convexe, pl. 132 1659 . Les décors sont très simples et peu variés. La panse est toujours décorée à l'intérieur ou à l'extérieur. Les trois quarts des vases sont décorés de bandes horizontales plus ou moins larges, isolées ou espacées. L'association de bandes et de zones décoratives rares se retrouve sur les tasses et quelques jarres. Les trois-quarts des bords des grands bols et des jarres sont aussi décorés. Toutes les anses retrouvées publiées par Dupré sont peintes sur la partie externe sauf une 1660 . Les motifs utilisés sont simples: l'échelle, le zigzag, le triangle, la croix de Saint-André, le quadrillage, la ligne ondulée, les demi-cercles concentriques pendants, le pendentif 1661 . L'échelle se trouve à Chypre au Bronze récent ainsi que plus rarement à l'âge du Fer. Dupré conclut à propos de la céramique du niveau IV qu'elle possède toutes les caractéristiques de la céramique cilicienne tout en étant une production locale. Porsuk serait à cette période sous emprise cilicienne et les trouvailles de Bor, Pınarbaşı et Bayat reflètent la même influence 1662 .

Le niveau III recouvre selon Dupré, l'âge du Fer moyen et récent :

‘"Aucun élément, à vrai dire, n'atteste que la fondation du niveau III de Porsuk remonte à une date aussi haute que le début du VIIIe s. ; la présence du bloc inscrit permet en revanche d'assurer qu'elle était réalisée aux alentours de 740 av. J.-C., sans être nécessairement antérieure de beaucoup au milieu du VIIIe s." 1663

Il daterait de la fin de notre période d'étude et recouvrirait peut-être aussi le VIIe siècle. Au niveau III, les productions peintes sont plus nombreuses que les productions unies 1664 . Parmi les céramiques unies, on trouve des cooking ware, des céramiques jaunâtres, orange, à enduit blanc, à engobe jaune. Les vases peints utilisent les mêmes techniques que les productions unies avec des décors monochromes. L'engobe chamois est la seule exclusivité qui se retrouve avec des peintures monochromes et bichromes. Aucun tesson à l'argile "jaunâtre" ne portait de trace de peinture 1665 . A cette période appartiennent quelques vases importés de Phrygie (céramique grise ou noire lissée), d'Anatolie du sud-ouest (Black-on-Red) et rhodienne, pl. 134 1666 . Les formes sont plus nombreuses qu'au niveau précédent. Les vases ouverts comportent les bols carénés, les bols à bord épaissi, à lèvre saillante, à lèvre étirée, à lèvre évasée, à collerette, les assiettes et les jattes. Les vases fermés intègrent les tasses ou cruches, les vases à panse sphérique, à col cylindrique, à col cannelé, les cruches à bec pincé, les cooking pots, les cratères, le grand pithos, un trépied et un vase zoomorphe, pl. 135 1667 . Les motifs peints sont beaucoup plus variés. La moitié des vases ouverts et tous les plus grands ne sont décorés que sur le bord. La moitié des autres vases est peinte non seulement sur le bord, mais également soit à l'intérieur soit à l'extérieur du vase. Sur la panse, les motifs sont organisés horizontalement sur la moitié supérieure du vase, mais l'on trouve deux catégories de décor, l'un "purement linéaire" pour les vases ouverts et l'autre combinant zones décoratives et décor linéaire pour les vases fermés 1668 . Les décors linéaires contrairement à ceux du niveau IV sont volontiers constitués de combinaison de lignes de différentes épaisseurs.

‘"Inconnu en Anatolie centrale, ce type d'ornementation semble, par la faveur qu'il connaît à Porsuk, constituer un véritable style local ; l'esprit est assez proche de celui dans lequel est traitée la céramique cilicienne du Fer Moyen, ou celle de l'Anatolie du Sud-Ouest, mais la production du site ne paraît liée à aucun de ces groupes par des affinités vraiment précises." 1669

Les décors plus complexes utilisent deux schémas, dans le premier les motifs sont placés les uns à côté des autres, presque toujours sur un registre unique. Le second schéma beaucoup moins fréquent est constitué de panneaux en nombre variable divisant la zone et contenant les motifs. Les deux schémas ont coexisté sur les mêmes vases. Le second se distingue des productions du plateau par l'abondance de décor linéaire, caractéristique de la céramique de Porsuk. On trouve des parallèles à Carchémish dans le cimetière de Yunus 1670 . Le vase 153, pl. 252 1671 , rappelle le wavy line style de Gordion. Pour le bord des embouchures, la composition la plus commune utilise une alternance de deux ou trois motifs différents : les groupes de traits, les bandeaux et les festons. Les anses sont décorées sur leur face externe de motifs linéaires et sont comparables à celles d'Alişar. Le répertoire des motifs comprend vingt-quatre motifs de base : les créneaux, les méandres, les échelles, les carrés concentriques, le carreau pointé, le quadrillage, le damier, les chevrons, les bâtons rompus, le zigzag, le triangle, le losange, la croix de Saint-André, le diabolo (papillon), la ligne ondulée, le chien courant, le feston, la languette, les motifs en amande, la file de points, les cercles concentriques, les cervidés, les oiseaux, les humains, pl. 133 1672 . Les trois derniers se trouvent en faible quantité. L'une des représentations de cervidé est assez originale, sans élément de remplissage, les deux autres s'apparentent aux exemples que l'on trouve à Alişar, parfois désigné sous le nom de "Style féodal 1673 " qui renverrait donc à celui de la Syrie du nord. La céramique de Porsuk au niveau III est, essentiellement, une production locale d'influence cilicienne, comme à Domuztepe ; elle semble être de moins bonne qualité qu'à Tarse.

A Tepebağları près de Niğde ont été retrouvés aussi bien des restes de vases de type centro-anatolien peint (Alişar) que gris monochrome de type phrygien 1674 . Au Göllüdağ, plusieurs fragments de cratères s'apparenteraient aux productions de Gordion (en particulier du tumulus P). Il n'existe que peu de tessons à cervidés, les autres types de céramique fine sont comparables à ceux d'Alaettintepe 1675 .

Au Göllüdağ, on note de grands fragments de céramique peinte et certains ont même proposé d'y voir un centre de production de poterie peinte 1676 :

‘"The Alişar kraters suddenly seem like an impoverished single-track imitation of a more imaginative Göllüdağ animal style; only chronological analysis will tell." 1677

Il semble vraisemblable que ce site est postérieur au style Alişar IV du VIIIe siècle. Le Tabal est considéré par Sams comme une extension de la sphère syro-hittite 1678 . Les contacts politiques avec la Phrygie attestés par l'inscription de Tyana 1679 pourraient expliquer les affinités de la céramique de Porsuk avec celle de Gordion. Ces similitudes demeuraient incomprises, jusqu'à l'interprétation de l'inscription de Tyana, à cause de l'absence de céramique phrygienne dans le Halys et la région d'Alişar. Sams en 1978 propose d’interpréter la céramique phrygienne de Gordion, de la ville de Midas, de Konya et de la région du Halys, d’Alişar, de Boğazköy et de Kültepe comme un même ensemble 1680 . Il propose une approche globale du problème et constate beaucoup de similitudes dans l’organisation du décor et les techniques utilisées. La partie basse de la panse est laissée en réserve. Le décor en bandes horizontales se conforme à la forme du vase, surtout sur l'épaule et le col. Ces zones elles-mêmes comportent des motifs continus ou une série de panneaux. La technique est toujours la même, la monochromie est prépondérante, mais la bichromie (noir ou brun et rouge) apparaît, elle s'affirmera surtout aux VIIe-VIe siècles. Il examine ensuite les différences de motifs. Son but est de déterminer l’étendue de l’utilisation avec les différences régionales de motifs géométriques.

Notes
1646.

MUSCARELLA, 1988, 417-418.

1647.

DUPRE, 1983, 110.

1648.

Ibid., 70.

1649.

Cf. 7. 1. Les périodes obscures-Les productions non-tournées. 7. 1. 1. 3. Boğazköy. 7. 1. 1. 4. Les autres sites. 7. 1. 2. Les autres sites.

1650.

HANSEN, POSTGATE, 1999, 117.

1651.

Ibid. 1999, 119.

1652.

Sauf peut-être à Hama et dans les prospections de Bahar dans la région de Konya. Ibid. 7. 2. 7. La région de Konya.

1653.

BAKER, COLLON et alii., 1995, 139-191.

1654.

SAMS, 1994, XXX.

1655.

GOLDMAN et alii., 1963, 103.

1656.

ALKIM, 1952, 225-230.

1657.

Vaisselle de cuisine.

1658.

Cf. Pl. 131. Tableau récapitulatif de la répartition des catégories du niveau IV, Porsuk. DUPRE, 1983, 59.

1659.

Cf. Pl. 132. Tableau récapitulatif des formes dans la production au niveau IV, Porsuk. DUPRE, 1983, 64.

1660.

Cf. Pl. 221. Tasses, Porsuk. Tasse 51, DUPRE, 1983, 66.

1661.

Cf. Pl. 133. Tableau synoptique des motifs des niveaux IV et III, Porsuk. Ibid., pl. 101. Pendentif : motif "obtenu par le dédoublement d'une ligne médiane en deux courbes divergentes à sa base". DUPRE, 1983, 68.

1662.

DUPRE, 1983, 69.

1663.

Ibid., 111.

1664.

Six catégories sur cinq. DUPRE, 1983, 79.

1665.

Ibid.

1666.

Cf. Pl. 134. Tableau récapitulatif des catégories dans la production du niveau III, Porsuk. Ibid., 84.

1667.

Cf. Pl. 135. Tableau récapitulatif des formes dans le niveau III, Porsuk. Ibid., 94.

1668.

A quelques exceptions près, Ibid., 95, note 115.

1669.

Ibid., 96.

1670.

Selon Ibid.

1671.

Cf. Pl. 252. Pichets tasses-jarres à embouchure ronde, séries a, b et c, Porsuk. DUPRE, 1983, 110, n° 153. pl. 81-82. Cf. 7. 2. 2. Céramique peinte de Gordion.

1672.

Cf. Pl. 133. Tableau synoptique des motifs des niveaux IV et III, Porsuk. DUPRE, 1983, pl. 101.

1673.

Ibid., 105.

1674.

MELLINK, 1973, 169-193 ; 1979, 249-257.

1675.

SAMS, 1974, 169.

1676.

ARIK, 1936, 3-48.

1677.

MELLINK, 1969, 214.

1678.

SAMS, 1994a, XXXI.

1679.

Cf. Chap. 3. Les sources écrites. 3. 6. Les inscriptions phrygiennes. 3. 6. 5. Les inscriptions de Tyanitide.

1680.

SAMS, 1978, 227-236.