Chronologies

Nous avons souligné tout au long de ce travail les problèmes liés à la chronologie. Il existe plusieurs possibilités de divisions :

• classique :

• fondée sur l'hypothèse d'une conquête assyrienne de Gordion, de Porsuk et donc d'une partie du plateau en 837 :

Aucune de ces périodisations n'est actuellement vérifiable.

• la période du premier âge du fer est une période de transition qui par là-même pose des problèmes de définition : Quand commence-t-elle et quand finit-elle ? Comment la caractériser ? Existe-t-il plusieurs ensembles culturels ? Comment les appréhender ? Pendant la transition entre l'âge du Bronze et celui du Fer, pourquoi trouvons-nous si peu de traces des populations ? En présence-même de ces traces, que pouvons-nous en déduire sur le plan économique ?
• Comment peut-on reconnaître des phénomènes migratoires au travers des restes archéologiques ?
• Comment évaluer en fonction de monuments les signes d'un changement ou d'une continuité ?
• En quoi ces signes sont-ils significatifs ?
• D'un point de vue socio-économique : existe-t-il des changements dans le matériel sédimentaire ou botanique ?
• Comment expliquer l'émergence de nouveaux royaumes pleinement constitués au XIe et VIIIe siècles ? Ont-ils un lien avec les royaumes nord-syriens où la royauté a perduré sans interruption ? Quels sont les royaumes, leurs limites et quelles sont les entités culturelles en présence ? La culture d'Alişar correspond-elle à un domaine politique? En quoi l'architecture ou la céramique sont-elles représentatives des populations occupant le plateau ?
• Est-il possible de percevoir des changements dans l'environnement, et quelles sont leurs éventuelles relations avec les sociétés ?
• Peut-on identifier des changements dans l'organisation économique : la production et le stockage de la nourriture, la production de la céramique et des métaux ?

La liste des interrogations méthodologiques et socio-économiques n'est pas fermée et les nouvelles découvertes entraîneront certainement de nouvelles interrogations. Il est indispensable d'étudier les traditions céramiques, les implantations de sites, les aspects démographiques et économiques sur une échelle régionale pour permettre des comparaisons inter-régionales. Toutes ces remarques sont les bases du travail des archéologues en Europe, et sans ces études préliminaires la masse des données issues des fouilles est d'un usage limité.

Un certain nombre de questions sont déjà itératives par rapport aux données dont nous disposons, aucune n'a trouvé à notre connaissance de réponse définitive. Nous avons dressé ci-dessous une liste de la plupart de ces interrogations sans réponse.

• La transition reste encore en de nombreux endroits inconnue et à Boğazköy et Gordion les sondages restent limités. Il faudrait aussi pouvoir déterminer si les sites où de la céramique non tournée (Çadır, Kuşaklı, Gâvurkalesi) a été mise au jour contiennent une stratigraphie relative à cette période. Il faudrait établir si l'apparition des productions non tournées s'étend jusqu'en Iran et au-delà et comment les phénomènes s'articulent ? Il faudrait établir une chronologie précise de cette période à l'aide des datations C14 et dendrochronologiques, croisées avec la stratigraphie et la typologie.
• Concernant les liens entre l'empire hittite et les royaumes du deuxième âge du Fer on peut se demander si les différents états du plateau sont les héritiers de la culture hittite ? Que sont les royaumes néo-hittites ? Sont-ils les seuls héritiers de cette culture malgré la présence de plusieurs sites du plateau ? Existe-t-il une continuité de la céramique ? Existe-t-il une continuité politique attestée par l'apparition dans les textes de mêmes titulatures ?
• A regard des états du deuxième âge du Fer, quelles sont les limites des états invoqués dans les textes ? Les produits finis sont découverts sur place, mais quelles étaient les voies de circulation, de communication ? Comment s'organisaient-elles ? Comment pouvons-nous établir des catégories, des groupes facilement reconnaissables de céramique et d'architecture ? En quoi ces groupes sont-ils significatifs ? Quelle perception avons-nous des populations ? Gordion a démontré que les riches étaient plus faciles à appréhender.

Notre tentative de synthèse n'apporte que quelques d'éléments de réponse en raison de la complexité des problèmes et souvent de l'absence de données. L'un des buts de ce travail, outre un bilan des connaissances, était d'apporter un éclairage et des hypothèses nouvelles pour tenter de faire avancer la recherche, or l'état actuel des données rend impossible toute nouvelle élaboration. Il faudrait pour cela obtenir plus de données concrètes stratifiées. Nous avons souvent exposé les données sans ajouter une hypothèse personnelle, laquelle se serait avérée, à ce jour, tout aussi invérifiable que celles déjà énoncées. Cependant certaines idées, qui nous ont semblé plus envisageables que d'autres ²²⁴³ , ont emporté notre adhésion.

Les données archéologiques dont nous disposons sont très fragmentaires, quelques sites comme Gordion et Boğazköy ont été explorés depuis de nombreuses années et au moins en partie publiés, ce qui n'est pas le cas de la plupart des sites du plateau. Certains sites ne sont connus que par les notices de M. Mellink ²²⁴⁴ , ce qui ne facilite pas les synthèses. Malgré l'existence de plusieurs colloques et publications de vulgarisation, il n'existe aucune étude comparative des sites. Jusqu’à présent, les études ont été menées site par site, favorisant un développement des connaissances micro-régionales, aux dépends d'un point de vue global permettant des classifications, des typologies et la mise en place d'une chronologie comparée.

L'un des problèmes qui a faussé l'étude de la transition entre l'âge du Bronze et l'âge du Fer réside dans le fait que, dès le XIXe siècle, ont été amalgamées les sources historiques et les données archéologiques. L'archéologie s'est, jusque là, employée à illustrer des faits déjà connus par les sources écrites. Actuellement, il semble indispensable de devoir s'en tenir à des données strictement archéologiques avant de prétendre atteindre une perspective historique globalisante.