c) Les analyses socio-politiques de la ’profession agricole’

D’autres chercheurs intéressés au fonctionnement interne de ce secteur de production porteront plus directement leur attention sur la constitution de la profession agricole appréhendée en tant que construit social et sur son rôle dans le développement de l’intensification de la production. Ainsi, Jacques Rémy (1982) examine les pratiques technico-économiques et les pratiques socio-culturelles des agriculteurs dans leur relation à l’appareil d’encadrement. Il fait une analyse du métier d’agriculteur en termes de couches sociales de la paysannerie ayant des positions distinctes quant à l’idée du développement telle que proposée par l’appareil ’d’encadrement’ de la profession agricole en distinguant notamment les ’bons élèves de la classe intensive’ (principaux ’clients’ de l’appareil d’encadrement) des ’malgré nous de l’intensification’ qui s’écartent, du modèle de l’agriculteur moderne et représentent le ’reste’ de la paysannerie ou plutôt des paysanneries, si l’on considère, en référence à Michel Blanc (1977) la diversité existante dans ce monde social. Dans d’autres cas, c’est plus spécifiquement encore le rôle joué par certaines fractions des couches sociales d’agriculteurs qui apparaît la préoccupation centrale. C’est à ce type d’approche que renvoient notamment les analyses socio-politiques présentées dans la première section de ce chapitre qui révèlent les ’nombreuses médiations’ que met en jeu la direction hégémonique de ’l’agriculture moderne’ assurée par la couche moyenne des exploitants qui s’est investie dans le travail ’d’unification’ de la profession portée par le syndicalisme majoritaire [Coulomb, Nallet, 1980 ; Maresca, 1983 ; Muller, 1984].

Ainsi, nous pouvons noter que ce n’est qu’au début des années quatre-vingt que l’on voit apparaître des travaux portant sur la constitution proprement dite de la profession agricole, avec un intérêt particulier à la question de la diversité des exploitants au regard de leurs possibilités inégales d’accès au titre ’d’agriculteur moderne’. Ces travaux qu’illustrent bien les analyses de Jacques Rémy (1987) consistent à mettre en évidence l’écart existant entre le modèle de l’agriculture professionnelle exprimé par les organisations professionnelles agricoles (O.P.A) et les dynamiques sociales effectivement observables dans la paysannerie, révélant ainsi les limites des normes professionnelles instituées dans le but de définir qui peut prétendre au titre d’agriculteur. Quels que soient les critères de sélection (en termes de surface minimale d’exploitation, de travail à temps complet, et de formation agricole spécifique) proposés pour délimiter le champ de l’activité agricole réellement ’professionnel’, la pluri-activité, l’agriculture de montagne, etc., n’ont pas disparu, malgré les prévisions qui avaient été formulées sur la base de la conception de la viabilité des exploitations sous-jacente à de tels critères. Les sociologues vont donc se pencher sur ces nouveaux objets d’études que constituent les formes d’exercice de l’agriculture en marge de la définition ’professionnelle’ de cette activité. Ils s’intéresseront ainsi à ces « espaces entiers abandonnés par suite de leur excentricité géographique ou de leur spécificité agronomique » [Lamarche, 1987], à ’ces exclus des aides’ [Maresca, 1985] et à ces ’résistances paysannes’ [Pernet, 1982] qui manifestent une multitude d’initiatives à la marge au modèle de ’l’exploitation familiale moderne’. Sont également mis en évidence, à travers ce type d’analyses, les effets négatifs de la modernisation et, notamment, les ’souffrances des paysans’ qui en découlent [Salmona, 1994]. Ces travaux viennent alimenter la réflexion sur le caractère sélectif de la modernisation de l’agriculture construite autour du modèle ’productiviste’.

Finalement, nous retiendrons de cette présentation succincte de travaux de sociologie rurale approchés sous l’angle de la critique des thèses productivistes, en quoi ils rendent compte, d’une part, de la ’spécificité’ du travail agricole et comment, d’autre part, ils visent également à mettre en évidence l’écart entre la ’profession agricole’ et la diversité des couches sociales agricoles aux intérêts parfois divergents. Néanmoins, ces recherches restent assez timides quant à l’analyse de la question des transformations du métier d’agriculteur en se centrant soit sur la dimension technique du métier à travers l’appréhension des pratiques agricoles soit sur une dimension macro-sociologique de l’agriculture vis-à-vis des institutions professionnelles et de la société. Ainsi, il faudra attendre la fin des années quatre-vingt pour que les sociologues ruraux, pendant longtemps préoccupés par la modification paysanne engendrée par le passage du paysan à l’agriculteur [Jollivet 1988], s’orientent vers de nouveaux questionnements suscités par la crise d’identité professionnelle des agriculteurs qui frappe alors ce secteur d’activité comme nous allons le voir dans cette dernière section.