Chapitre 2. Les apports de la sociologie du travail et des professions à la construction d’une problématique d’étude de la transformation d’un métier

Compte tenu de notre questionnement sur la transformation du métier d’agriculteur, il importe d’examiner comment la sociologie du travail et des professions permet d’analyser les métiers et leur dynamique. Nous allons donc procéder, dans ce deuxième chapitre, à un tour d’horizon des principales recherches pouvant contribuer à cette analyse, recherches à partir desquelles nous avons dégagé les outils conceptuels nécessaires à la mise en oeuvre de notre propre problématique.

Le cheminement un peu long que nous emprunterons de la sorte avant de présenter, dans le chapitre qui suit, notre cadre d’analyse tient à la diversité même des travaux dans lesquels il nous a semblé nécessaire de puiser pour élaborer notre objet d’étude. Traiter la question de la transformation du métier d’agriculteur supposait, en effet, que nous nous interrogions sur la manière dont peuvent être appréhendés les groupes professionnels et les processus de changements qu’ils connaissent. Or, une telle entreprise est loin d’être évidente. Si une sociologie des professions émerge dès les années trente aux Etats-Unis, ce genre d’approche ne sera diffusé et repris en France qu’à partir des années soixante-dix. Pour autant, la sociologie du travail qui s’y est développée depuis les années cinquante, même si elle est focalisée sur le travail en entreprise et se préoccupe d’avantage de la ’classe ouvrière’ que de l’ensemble des métiers, mérite aussi attention dans la mesure où l’on peut y observer certaines évolutions méthodologiques et conceptuelles qui participent bien au débat sur l’analyse de la professionnalisation et qui témoignent de préoccupations qui ne sont pas sans rapport avec celles qu’auraient certaines approches constitutives de la sociologie anglo-saxonnes des professions. Ce sont donc ces deux domaines que nous nous sommes efforcée d’explorer.

Ce double parcours nous a semblé d’autant plus nécessaire que depuis quelques années déjà, un rapprochement s’amorce entre sociologie du travail et sociologie des professions autour de la question des phénomènes de professionnalisation [Dubar et Lucas, 1994]. Quels que soient en effet les décalages nationaux dans la tradition sociologique en la matière, l’étude des collectifs et des organisations de travail est fortement marquée aujourd’hui par la notion de ’modèles professionnels’ [Dubar, 1994 ; Dubar et Tripier, 1998]. Que ce soit à propos des ’ouvriers de métiers’, en référence au modèle corporatiste selon la terminologie française, ou à propos des ’professions établies’, en référence au modèle de la médecine ou des professions juridiques tel qu’il a été avancé par le courant fonctionnaliste aux Etats-Unis, de nombreuses recherches s’interrogent sur les phénomènes de déconstruction / reconstruction de tels modèles [Lucas, 1994]. C’est aux apports possibles des différentes approches sociologiques qui ont cherché à appréhender le ’fait professionnel’, étant entendu par là, suivant la définition de Claude Dubar « la persistance, sur une longue période, d’une catégorie à la fois problématique et spécifique, celle de ’profession’ qui, tout à la fois structure les discours et modèle les pratiques » [Dubar, 1994, 250] que nous avons choisi de nous intéresser.

Pour rendre compte du corpus théorique que nous avons mobilisé pour construire notre recherche, nous présenterons donc d’abord, ce que nous avons pu tirer de la sociologie du travail telle qu’elle s’est développée en France moyennant le passage d’un ’paradigme technologique’ à un ’paradigme interactionniste’ [Tripier, 1994]. Puis nous examinerons les apports de la sociologie des professions à l’étude des métiers, afin de préciser dans quel contexte s’ouvrent, depuis une quinzaine d’années, de nouvelles perspectives de recherches qui sont celles à partir desquelles nous avons entrepris d’élaborer notre problématique.