b) L’école de Cambridge ou l’ouverture sur une autre approche d’analyse du travail

La montée de cette attention portée à la diversité du travail ouvrier peut également être illustrée par les recherches de l’école dite de Cambridge qui va jouer un rôle non négligeable dans la réorientation des recherches et des méthodes dans les années soixante-dix de la sociologie du travail, avec l’introduction notamment de la notion de ’définition de la situation’ de travail. S’interrogeant sur la ’société ouvrière’, Goldthorpe et al. (1972) vont en effet mettre en évidence, à partir d’analyses comparatives de la vie quotidienne des ouvriers, que la situation de travail est un facteur insuffisant pour rendre compte de leurs comportements. Les mêmes insuffisances seront présentées par Hoggart (1970) dans ses analyses qualitatives sur les ’styles de vie des classes populaires en Angleterre’. Ces auteurs proposent alors le concept de définition de la situation pour rendre compte de ’l’itinéraire familial et professionnel’ dans lequel s’inscrit la situation de travail. Cette conception se veut « ‘fournir un principe pouvant expliquer à la fois les comportements au travail et les comportements dans la société, sans qu’il y ait confusion entre les deux’ » qui se traduit par une importance donnée moins « ‘à l’expérience du travail qu’à l’attente qu’il suscite’ » [Tripier, 1997, 448]. Selon Tripier, cette façon de resituer le travail dans une histoire de vie constitue une manière de réintroduire la vie privée des travailleurs dans une sociologie du travail qui avait exclu cette dimension de son champ de préoccupations.

Cet élargissement de l’analyse va être encore renforcé par l’ouverture de la sociologie du travail sur d’autres univers professionnels que le monde ouvrier. A partir des années soixante-dix, comme le souligne l’historien Antoine Prost (1995), la représentation de la figure de l’ouvrier et de la ’classe ouvrière’, en tant que condensation de la question du travail dans la ’société industrielle’ se défait : « ‘On ne sait plus ce qu’est au juste un ouvrier (...) la sociologie ouvrière devient incertaine de son objet parce qu’elle était et demeure tributaire des représentations constituées de la classe ouvrière’ » [Prost, 1995, 83]. Du fait de l’affaiblissement de ce modèle, des questionnements nouveaux sur l’objet de la sociologie du travail apparaissent. Tripier note ainsi que cette ouverture se traduit par un éclatement des codes d’analyse mobilisés par la sociologie du travail qui va devoir rompre avec « ‘la règle des trois unités – de lieux (l’atelier), de temps (le survey), d’action (l’implication au travail) - pour articuler la sphère du travail avec la vie privée ’» [Tripier, 1994, 46]. Le moment d’un bilan semble alors venu, bilan auquel pousse aussi l’entrée des sociétés industrielles dans une profonde crise du travail et de l’emploi.