Section 3.2 Traduction de la question de la transformation du métier d’agriculteur dans un cadre d’analyse multidimensionnel

Partant du principe qu’il est intéressant de prendre en compte ce phénomène de mutation de la profession agricole en tant que tel, en faisant jouer à la critique un rôle moteur dans les changements de la conception du métier [Boltanski., Chiapello, 1999] il nous importait de dégager quels types de mouvements (de carrière), de réagencements (de segments), d’imbrications (de pratiques) ou des différentes dimensions constitutives de l’activité de travail sont inventés par les individus dans une situation de crise et avec quelles répercussions finalement sur l’état et la dynamique du champ professionnel.

Pour rendre compte des transformations en cours de la profession agricole, nous avons ainsi considéré qu’elles ne pouvaient être appréhendées ni à partir de l’idée que les injonctions de changement adressées à ce secteur d’activité suffiraient à définir un ’nouveau modèle professionnel’ auquel les agriculteurs n’auraient qu’à s’adapter, ni à partir de la seule prise en compte de la dynamique interne au monde agricole, telle qu’elle résultait de son fonctionnement jusqu’ici établi. Nous sommes partis du principe suivant lequel ces transformations étaient à référer à la manière dont les ’mises en cause’ profondes que connaît l’agriculture étaient diversement investies et utilisées par les agriculteurs en fonction de la position qu’ils occupaient dans leur champ professionnel et à la manière dont ces demandes contribuaient à modifier ces positions mêmes. Cette réflexion sur la transformation d’une profession s’inscrivait donc en référence aux théories de l’action [Paradeise, 1990] et renvoyait à la tendance au développement de recherches plus qualitatives qui donnent plus de place au travail que font les acteurs pour donner un sens à leur activité en référence à l’idée de ’réflexivité pragmatique’ des acteurs [Corcuff, 1996] ou encore d’une ’rationalité diffuse’ [Kaufmann, 1997]. Nous avons proposé ainsi dans ce cadre théorique de porter une attention particulière à la capacité réflexive des agriculteurs à redéfinir leur rôle professionnel. Nous avons donc considéré la question de la transformation du métier d’agriculteur à partir de la manière dont elle découle d’un travail d’articulation effectué par les agriculteurs de leur activité (en opposition au déterminisme) mais en même temps en prenant en compte le fait que cette activité nécessite d’être ’située’ dans un cadre de référence (en opposition à l’individualisme)63.

Il restait à préciser comment pouvait être traduit dans un dispositif d’analyse ce cadre théorique combinant plusieurs types d’ancrages conceptuels renvoyant à différents niveaux d’appréhension du social. Du point de vue des approches que nous avons avancées, nous avons retenu leur caractère combinatoire en vue de mieux appréhender les phénomènes professionnels en mouvement. Pour cela, nous avons eu le souci de prendre en compte deux aspects fondamentaux : le premier renvoie à la volonté de comprendre les mondes professionnels en mettant l’accent sur la subjectivité des acteurs ; le second vise à prendre en compte la structuration de ces mondes professionnels à partir des dispositions des agents les constituant. C’est donc deux entrées distinctes que nous avons cherché à articuler et que nous allons présenter maintenant.

Notes
63.

Nous nous inscrivons donc bien dans une perspective du changement ni complètement étouffée par un déterminisme social, d’ordre macro-social contraignant les individus à ne jouer qu’un rôle de ’marionnettes’ [Bourdieu, 1986] (même s’il convient de prendre en compte les contraintes et les inerties liées à l’histoire préexistante aux acteurs, leur habitus), ni un individualisme absolu dans lequel tout serait sans cesse à redéfinir par les acteurs selon une approche ethnométhodologique [Garfinkel, 1967].