L’étude, réalisée en Bourgogne, porte sur le métier d’éleveur bovin allaitant65. Taxé d’un certain retard dans son ’développement’, jugé comme traditionnel, tout en étant défini comme un secteur spécialisé (les producteurs de viande bovine), le monde de l’élevage est actuellement traversé par certaines interrogations fortes (cf. la crise de la vache folle66,...), et il se voit soumis à des injonctions de changement particulièrement vives. Cette situation, avec l’ambivalence qui la caractérise, le monde de l’élevage étant à la fois jugé ’dépassé’ et considéré comme porteur d’une certaine alternative à l’heure où le modèle productiviste est mis en cause, apparaissait ainsi tout à fait appropriée pour analyser les processus de transformation qui nous intéressaient ici. Nous étions, en effet, en droit de penser qu’elle se traduisait, pour les agents concernés, par des débats assez vifs et assez ouverts sur ce que devrait être leur métier et que l’on pouvait donc accéder par là, de manière assez directe, à l’analyse de la façon dont ces agents justifiaient leurs positions en la matière et participaient aux processus de déstructuration / restructuration à l’oeuvre dans leur monde professionnel.
Nous avions donc choisi ici pour aborder cette question de la transformation du métier d’agriculteur, de nous intéresser pour des raisons que nous expliciterons dans la deuxième partie de ce travail aux éleveurs de bovins allaitants exerçant leur activité sur la région de la Bourgogne. Il faut cependant porter une attention sur les conséquences qu’engendre ce choix. Nous tenions notamment à souligner qu’il était évident que bien que l’on considérait les éleveurs au coeur de notre recherche, ils n’étaient toutefois pas les seuls impliqués et concernés par les processus de transformation du monde professionnel de l’élevage et encore moins de la profession agricole. De plus, nous pouvons noter que nous avions choisi, à la différence de la recherche menée dans le cadre du D.E.A. centrée sur les mesures agri-environnementales, et sur les perturbations engendrées par des normes de changement émanant d’un cadre administratif, de nous focaliser sur une filière de production (l’élevage bovin allaitant), afin de privilégier un cadre de marché dans lequel l’ensemble des pressions qui incombent aux agriculteurs étaient a priori plus diverses et plus diffuses que les seules ’normes réglementaires’ agricoles françaises et européennes, soit dit autrement, sans décider au préalable de l’éventail de contraintes qui pouvaient alors peser sur l’exercice du métier d’agriculteur. En nous centrant sur un secteur de production spécifique, nous insistons plus directement sur la question de la remise en cause d’une profession en tant que tel, donnant une importance au caractère spécifique de la crise qui touche la profession agricole, puisque c’est bien le modèle même de la profession tel qu’il s’exprime à travers du modèle productiviste (et qui a toujours été incarné par le secteur laitier) qui est plus directement touché par cette crise et invite à s’interroger sur cette situation d’incertitude. La production n’étant plus une fin en soi, les autres aspects du métier, pendant longtemps dissimulés derrière ce qui était apparu essentiel deviennent plus visibles et constituent des sources potentielles pour sortir de cette situation et redéfinir ce qu’il convient désormais de faire.
Après avoir défini notre terrain d’étude, trois opérations de recherche distinctes mais interdépendantes nous sont apparues d’emblée nécessaire compte tenu de notre cadre d’analyse. Nous proposons de les reprendre successivement et de montrer en quoi elles ont alimenté notre questionnement. En référence aux travaux de B. Lemery (1991) sur la profession de conseiller agricole, deux opérations de recherche ont été mises en place afin de mener le travail exploratoire nécessaire avant d’élaborer l’enquête directe auprès des éleveurs que nous envisagions. La première répondait à la nécessité d’appréhender comment s’est constitué le métier d’éleveur charolais, en retraçant les grands traits de l’histoire de l’élevage charolais dans son rapport à la professionnalisation du métier d’agriculteur. Cette opération a consisté également à prendre connaissance de la manière dont était structuré le monde professionnel de l’élevage et à opérer un ’suivi documentaire du changement’ consistant à relever, durant toute la durée de ce travail, les transformations en cours dans le champ professionnel agricole. La deuxième opération de recherche devait nous permettre de caractériser ce que pouvait précisément recouvrir la ’crise’ que cette profession connaît aujourd’hui et en quoi elle affectait les éleveurs. Elle a consisté en une enquête exploratoire auprès de personnes relais impliquées dans la définition de ce que devrait être à l’heure actuelle le monde de l’élevage charolais. Cette première enquête a abouti à dégager les principaux axes de perturbations et les principaux acteurs représentatifs des transformations du métier d’éleveur charolais en Bourgogne. La dernière opération de recherche a consisté en une enquête par entretiens réalisée auprès des éleveurs choisis comme ’figures-types’ des différentes positions sociales en jeu dans le changement ainsi mis au jour lors de l’opération précédente.
Au terme de ces différentes opérations de recherches, nous devions être en mesure de répondre à deux objectifs principaux : le premier consistait dans la description fine des rouages à partir desquels peut être envisagée la question de la redéfinition d’une profession en sociologie, le deuxième renvoyait à l’intention de proposer des hypothèses concernant l’évolution possible du monde professionnel de l’élevage.
Compte tenu de la perspective qui était la nôtre et ayant défini le terrain d’étude choisi pour développer notre analyse, le premier problème que nous avions à résoudre était de savoir par quels moyens accéder aux éleveurs afin de réaliser notre enquête par entretiens. A quel titre pouvions nous parler de stabilité/mutation de ce monde, quels changements semblaient y être inventoriés et quels aspects de ce métier touchaient-il, avec quelles variations dans l’ensemble de la population concernée,... ? Voilà toute une série de questions qui demandaient à être éclairées avant d’entrer dans ce que nous voulions placer au coeur de notre recherche, c’est-à-dire l’étude de la signification que pouvait avoir pour les éleveurs la transformation de leur métier.
Au total, c’est donc trois opérations de recherche distinctes mais interdépendantes que nous avons effectuées et que nous pouvons présenter maintenant dans leurs grandes lignes. Nous reprendrons donc comment ont été construites ces opérations de recherche dans les trois sous-sections suivantes en indiquant également succinctement, du fait du caractère progressif de la recherche, les types d’analyses auxquels elles ont donné lieu.
L’élevage allaitant se distingue de l’élevage laitier par le fait que sa principale activité consiste dans la production de viande bovine, le lait n’étant utilisé que pour nourrir les jeunes animaux. Il repose sur plusieurs races particulièrement adaptées à cette production comme par exemple, pour la France, les races charolaise, limousine, salers,...
En France, cette ’crise de la vache folle’ débute par l’annonce par le gouvernement britannique le 20/03/1996 de la possible transmission à l’homme de la maladie de l’ESB (Encéphalopathie Spongiforme Bovine) sous la forme de la variante de la maladie de Creutzfeldt-Jacob. En novembre 2000, le réseau d’épidémiosurveillance français de l’ESB (mis en place dès 1990) détecte un lot d’animaux contaminés dans un abattoir. Bien que celui-ci ait été découvert avant l’entrée dans la filière alimentaire il réactivera cette crise. [la ’vache folle en ligne’ : http://www.inra.fr/Internet/Produits/dpenv/vchfol00.htm].