3.3.2. L’analyse bibliographique du métier d’éleveur charolais

La première opération de recherche a consisté dans un travail d’analyse documentaire pour décrire à grands traits la constitution du champ professionnel de l’élevage. Pour cela, nous nous sommes efforcée de reconstituer le ’‘fond de discours préexistants sur lesquels [les acteurs du champ professionnel considéré] pouvaient et avec lesquels ils devaient compter pour définir le sens de leur action’’ [Lemery, 1991, 53-54]. Ce travail d’analyse documentaire a été élaboré de façon à dégager, plus précisément les continuités et les ruptures observées dans le monde de l’élevage appréhendé dans son rapport au mouvement de la professionnalisation de l’agriculture en général. Pour effectuer cette analyse, nous nous sommes appuyée sur une bibliographie réalisée par des économistes et zootechniciens de l’INRA, recensant 575 documents de nature très diverse relatifs à l’élevage charolais depuis la fin du XVIII siècle [Cavailhès et al., 1989]. D’autres textes plus récents ou plus généraux ont été également utilisés pour compléter cette approche.

Pour procéder à l’examen historique de la formation du métier d’agriculteur (chapitre 4 et 5), et plus particulièrement des éleveurs charolais, nous avons ainsi mobilisé des documents qui relèvent de diverses disciplines - histoire, zootechnie, droit, économie et sociologie principalement – et qui sont de portée variable, du fait d’abord de leur ancrage disciplinaire particulier et aussi parce que les thèses qui y sont défendues ont évolué dans le temps. Certains pans de l’histoire du charolais ont alors pu être négligés dans une analyse qui s’appuie ainsi sur des sources toujours partielles (documents d’archives, statistiques, littératures, etc.) et socialement contextualisées. Même lorsqu’elles prétendent à une certaine objectivité, elles n’en sont pas moins marquées par un angle de vue privilégié, une prise en compte d’informations relatives à des objets d’étude singuliers s’inscrivant dans des courants de pensées qui ont évolué au fil du temps, certains paradigmes succédant à d’autres. Notre analyse de l’histoire de la professionnalisation de l’agriculture et de l’élevage charolais est donc forcément schématique et elle ne prétend pas être aussi rigoureuse que celle à laquelle aurait procédé un historien. Notre objectif était simplement de nous faire une idée des ’univers de significations’ autour desquels le champ professionnel de l’élevage s’est constitué, avec une attention particulière aux modalités prises par la ’modernisation’ qu’a connue le monde de l’élevage charolais67 tout au long de son histoire.

Un autre objectif de cette première approche a été de nous familiariser avec ce monde qui nous était étranger et avec son langage professionnel particulier. En référence à une visée d’’ethnographie combinatoire’ fondée sur la saisie d’une ’collection hétéroclite de ressources’ [Dodier, Bazanger, 1997, 49], nous avons, pour cela, complété notre travail bibliographique par de premières observations de terrain effectuées sur différents lieux où se ’manifeste’ la profession : concours spécialisés, marchés et foires aux bestiaux, tables rondes professionnelles, etc.

Notre analyse documentaire a été également complétée par un suivi de la presse professionnelle spécialisée pour la région géographique concernée par la recherche. Ce suivi a été entrepris pour dégager quel était le ’fond de discours’ constituant ’l’univers de référence’ des éleveurs en nous centrant sur des périodes correspondants à des événements marquants (interdiction des hormones en 1988, définition de la réforme de la PAC en 1992, crise de la vache folle en 1996, ...). Nous avions initialement prévu de conduire cette analyse sur les dix dernières années pour chercher à rendre compte, de manière systématique des évolutions observables dans ce discours. Au vu de l’ampleur de ce travail, nous avons cependant dû réduire ici nos ambitions. C’est seulement ainsi sur les années 1996 et 1997 et pour le seul journal de la FDSEA68 que nous avons procédé à un relevé systématique pour identifier sur quoi portait le débat relatif à ce que ne pouvait plus être et ce que devait être le métier d’éleveur.

Notes
67.

Pour plus de précisions concernant l’histoire agricole française nous renvoyons le lecteur aux tomes III et IV de l’Histoire de la France rurale [Duby., Wallon., 1976].

68.

Il s’agit de ’Terre de Bourgogne’, journal distribués aux syndiqués de la FNSEA des départements de la Côte-d’Or, de la Nièvre et de la Saône et Loire, ainsi que ’L’exploitant agricole’ diffusé sur le département de la Saône-et-Loire.