3.3.3 L’enquête exploratoire auprès des informateurs privilégiés

La deuxième opération conduite dans le cadre de la phase exploratoire de notre recherche a consisté en une série d’entretiens effectués auprès d’un certain nombre d’informateurs privilégiés, à même de nous permettre d’identifier quelles étaient et comment se manifestaient les ’perturbations’ actuelles du métier d’éleveur et de nous fournir les moyens de constituer notre échantillon pour l’enquête auprès des éleveurs. Considérant que ceux qui participent, suivant des modalités variables (techniques, idéologiques et politiques), au travail de définition de ce qu’est, pourrait ou devrait être une activité légitime d’éleveur, constituaient une bonne entrée pour appréhender les changements en cours dans le monde de l’élevage, c’est avec des agents de l’appareil d’encadrement en place dans ce secteur que nous avons mené ces entretiens. Nous avons ainsi rencontré une quinzaine de techniciens, responsables professionnels, de partenaires d’amont et d’aval des éleveurs, appartenant à divers organismes (professionnels, para-publics, administratifs) pour, d’une part, caractériser l’état et la dynamique actuelle du métier d’éleveur bovin allaitant en Bourgogne et, d’autre part, déterminer, à partir de là, les situations les plus pertinentes, en termes de types d’éleveurs et de zones géographiques, à retenir pour étudier plus précisément les transformations en cours dans ce monde professionnel.

Le choix de ces experts (voir tableau ci-dessous) a été fait à partir d’un inventaire des acteurs concernés par la ’restructuration’ actuelle de la filière bovine et le suivi des actions mises en place dans ce sens. Pour les identifier, nous nous sommes basée sur plusieurs sources. Nous avons tout d’abord utilisé le suivi de la presse professionnelle pour repérer les principaux acteurs et partenaires de la filière. L’échantillon a ensuite été défini, d’une part, sur la base des contacts personnels établis avec ces partenaires dans le cadre des programmes de recherche menés sur la filière bovine dans le laboratoire de recherche dans lequel a été effectué notre thèse et, d’autre part, sur la base des informations que ces premiers contacts nous ont fourni, quant aux interlocuteurs qui leur apparaissait indispensable que nous rencontrions compte tenu de notre recherche.

Le guide d’entretien a été élaboré de façon à nous permettre de nous faire une première idée de ce qui changeait actuellement dans le métier d’éleveur et de la manière dont ce changement se traduisait dans le monde de l’élevage compte tenu de la diversité des figures professionnelles. Il était organisé pour cela autour de quatre thèmes :

1. la présentation de la position de l’enquêté et de l’organisme dans lequel il travaillait ;

2. la présentation de son point de vue sur la situation de l’élevage bovin allaitant ;

3. l’examen plus précis des transformations selon lui en cours dans le métier d’éleveur, de leurs causes et conséquences ;

4. le relevé de ce qu’il convenait, selon lui toujours, d’observer pour appréhender plus précisément ces transformations et en rencontrant quels types d’éleveurs.

Nous avons considéré, lors du montage de cette opération, qu’il était important de rester assez ouvert à l’émergence de propositions par les informateurs enquêtés concernant la définition du métier d’éleveur et les intuitions concernant les transformations en cours de ce métier. Il s’agissait ainsi de nous laisser guider par l’ensemble des propositions émises par des interlocuteurs privilégiés afin de se faire une idée à la fois, du monde de l’élevage charolais tel qu’ils le saisissaient, et en même temps, d’identifier à dire d’experts en quoi il était possible, selon eux, de parler (ou non) de transformation du métier d’éleveur. S’il s’agit d’une vision qui emprunte beaucoup au ’monde des évidences’, qui reprend ce qui fait le quotidien de ces experts, avec leurs inquiétudes du moment, les sujets de discussion en cours, les débats qu’ils suscitent, soit encore, vu sous une autre forme, un foisonnement de propositions de descriptions, ’d’images’ constitutives de l’élevage entachées d’attributs particuliers, ces présentations des changements du monde de l’élevage rendaient bien compte du quotidien avec lequel et à partir duquel les éleveurs devaient composer. D’ailleurs, il nous était apparu important lors de la définition de cette opération de recherche de veiller, précisément, à rencontrer des gens qui aient un point de vue particulier sur les transformations du métier d’éleveur, afin de rendre compte du ’fond d’évidences’ avec lesquels les éleveurs ont à faire. C’est ainsi, à partir du moment où nous avons pu considérer que nous avions atteint une certaine saturation des informations quant à l’évocation des transformations du métier, après avoir rencontré un ensemble d’experts contrastés, que nous avons décidé de procéder à la lecture de cet ensemble disparate.

On devra donc, au cours de la lecture de cette analyse, prendre en compte le fait que cette description générale de l’élevage allaitant en Bourgogne et des transformations du métier d’éleveur renvoie, en partie, à une diversité de points de vue sur ce vers quoi il doit désormais tendre. Ainsi et pour ce qui nous intéresse ici, c’est bien en mettant bout à bout l’ensemble des discours proposés que l’on a envisagé de dégager une première représentation du métier d’éleveur et de ses transformations (balayant les ’images’ et les ’mots d’ordre’ existant dans ce champ professionnel) même si le faible échantillon et l’hétérogénéité des positions des interlocuteurs rencontrés engendre nécessairement certaines limites concernant la précision avec laquelle peut être exposée cette première vue d’ensemble des transformations du métier d’éleveur.