Chapitre 4. La constitution du monde de production charolais

Pour reconstituer la manière dont a pris forme le métier d’éleveur charolais, nous avons mobilisé les travaux d’historiens locaux et, surtout, des économistes ruraux qui se sont intéressés au développement de ce qu’ils ont appelé l’Economie du charolais [Cavailhès et al. 1989]. Dans ce chapitre, c’est donc sur un ensemble de textes appréhendant l’élevage charolais en tant que système de production singulier que nous allons nous appuyer et notamment sur l’analyse bibliographique réalisée par ces économistes sur la ’zone charolaise’ entre 1820 et 1988 [Cavailhès et al, 1991]. Ce matériau nous a semblé tout à fait approprié pour au moins deux raisons. Premièrement, sa diversité permet de mettre en évidence les diverses positions existantes quant à la façon de considérer l’évolution de l’élevage charolais. Certains dénoncent ainsi les ’routines’ de ce monde agricole et de ses notables, au regard des exigences des marchés, du développement industriel etc., alors que d’autres insistent sur ’l’esprit novateur’ des éleveurs sans lequel le système charolais n’aurait sans doute jamais vu le jour, et ce type d’oppositions nous semble indispensable à prendre en compte pour décrire comment s’est constitué le monde de production du charolais. Deuxièmement, l’étude bibliographique sur laquelle nous nous sommes appuyée a été menée suivant une perspective qui apparaît très actuelle au regard de nos préoccupations relatives à la redéfinition du métier d’agriculteur. Comme le soulignent, en effet, les auteurs dans l’introduction de cette étude, la problématique adoptée était bien présente : « le charolais qui nous intéressait, c’est un mode d’élevage tout à fait particulier dans la France rurale : les systèmes allaitant-herbagers du pays présentent la caractéristique d’être extensifs ; ils ont superbement ignoré ou contourné la révolution agricole productiviste qui a bouleversé les paysages agraires de la plupart des autres régions. Avant déjà en Charolais, comme en Limousin mais plus encore, c’est le modèle de la polyculture élevage marchande dans sa configuration classique qui n’avait été que partiellement adopté. Pourquoi un tel particularisme agraire ? Comment s’extraire de la norme dominante ? Pour quelle alternative ? » [Cavailhès, et al. 1991, 5].

Nous proposons alors sur ces bases de retracer les grandes lignes du processus de constitution du métier d’éleveur tel qu’il s’inscrit dans le ’développement’ de l’agriculture compte tenu des rapports sociaux propres à la ’dynamique charolaise’. Pour cela, nous présenterons, d’abord, le monde de l’élevage charolais tel qu’il s’est progressivement mis en place à partir du 18e siècle. Nous analyserons ensuite, succinctement les débats auxquels a donné lieu au 19e siècle le développement de ce monde. Nous insisterons enfin, sur la diversité qu’il recouvre.