4.1.1 Les origines : un développement de l’élevage bovin limité à une petite région de la Saône-et-Loire

La race charolaise s’est développée dans le Brionnais, petite région du sud-ouest de la Saône-et-Loire connue pour ses excellentes prairies, mises en valeur par de riches négociants, et son marché aux bestiaux de St Christophe en Brionnais créé dès 1488. Cantonné dans la vallée de l’Arconce, l’élevage bovin alors pratiqué sur cette zone et sur la petite région voisine du charolais consiste à acheter des boeufs maigres à la fin de l’hiver pour les engraisser à l’herbe avant de les vendre à l’automne. Si cette activité dite ’d’embouche’ connaît ainsi un développement précoce qui se traduit par la mise en herbe des terres à blé du Brionnais et du Charolais, elle restera cependant longtemps limitée à ces deux régions et à quelques gros propriétaires terriens ou commerçants, la plupart des paysans n’ayant pas les moyens financiers et fonciers de se lancer dans une telle entreprise.

Le Charolais et le Brionnais font alors figure d’exception dans une région vue, d’après les observations de certains voyageurs71, comme particulièrement ’attardée’ sur le plan agricole. Arthur Young (1976) fait ainsi état de « l’archaïsme médiéval, avec un assolement très ancien, le système du ’vieilli’, des outils aratoires qualifiés ’d’antiques’, des prés à l’abandon, d’un bétail élevé dans les pires conditions que l’on puisse imaginer » [cité par Cavailhès, 1989]. Les descriptions effectuées renvoient à celles « de régions pauvres et attardées » qui ne connaîtront une véritable révolution économique qu’à partir du début du 19e siècle, sous un régime semblable au reste de la France. Ces descriptions des régions environnant le Charolais-Brionnais reflètent bien l’état de l’activité agricole précédant la ’révolution fourragère’ et le fait que l’élevage y était, le plus souvent négligé72. D’après une enquête paroissiale de 1668 [Bougler et al., 1973], la culture est, à cette époque, prédominante dans l’agriculture de ces régions (exception faite du Brionnais et du Charolais) comme dans le reste de la France. La forêt occupe une bonne partie du territoire et le commerce est pratiquement inexistant.

L’élevage bovin est donc présent dans quelques paroisses seulement, dans lesquelles les boeufs, élevés sur les pâturages communaux et les prés privés, sont engraissés à l’herbe pour approvisionner notamment les bouchers de Lyon par l’intermédiaire des foires du Brionnais. Cependant, la forte réputation de ces prés d’embouche, et la hausse très importante du prix du foncier qui en découle, incitera par la suite, les négociants-emboucheurs du Brionnais et du charolais à s’installer dans des petites régions agricoles voisines [De Croix, 1905].

Cette migration vers des terres nouvelles et le type de développement agricole qui en résultera sont très liés au contexte économique et social de la fin du 18e et début du 19e siècles, caractérisé par l’intensification des échanges marchands liée à l’accroissement des besoins en bétail au démarrage de l’industrialisation, pour l’approvisionnement des grandes villes. Suite à cette augmentation de la demande de viande, les prix des boeufs et du foncier du Brionnais connaîtront une hausse, ce qui incitera certains commerçants à étendre leur activité et à chercher des terres en dehors de la zone du Brionnais et du Charolais. Ce phénomène est illustré dans la bibliographie par l’exemple de Claude Mathieu, fils d’un riche négociant du Brionnais, qui se serait établi dans le Nivernais. Il n’est, sans doute, pas anodin ainsi que Claude Mathieu s’installe près de Nevers, en tant que fermier pour la famille De Damas (qui possède également des terres en Brionnais), et que cette nouvelle implantation s’effectue sur la route que son père, Emiliand Mathieu, emprunta en 1747 pour mener le premier convoi d’un troupeau de boeufs charolais au marché de Poissy73 en région parisienne, signant le début de l’approvisionnement régulier en ’boeufs blancs’ des bouchers de la capitale. D’autres Brionnais suivront l’exemple de Claude Mathieu, en s’installant sur des fermes en location autour de Nevers au début du 19e siècle, phénomène qui sera suivi alors d’un « développement de la race charolaise en nivernais, et des prairies naturelles et artificielles dès la première moitié du 19e siècle » [Spindler, 1991].

Notes
71.

Cf. Arthur Young (1976) sur ses voyages en France entre 1787 et 1789 et notamment les pages 372 et suivantes ainsi que les commentaires proposés par le traducteur Henri Sée, professeur d’histoire à l’université de Rennes de 1893 à 1920. Comme pour les observations produites sur l’agriculture en Angleterre et en France au 18e, Young caractérise la situation de l’agriculture de la région d’Autun comme ’tout à fait méprisable’.

72.

La révolution fourragère correspond au développement d’une association des productions animales et végétales par l’introduction des cultures fourragères dans le système de cultures. Elle engendre une prise en compte de l’importance du lien entre le soin apporté au troupeau (produisant une meilleure fumure) et le rendement des cultures.

73.

Le marché de Poissy créé en 1010 desservait la ville de Paris jusqu’en 1867, date à laquelle il fut remplacé par le marché de la Villette.