Si l’essor et la réputation de la race charolaise sont très directement liés à l’activité d’embouche propre aux petites régions du Brionnais et du Charolais, le développement de l’élevage de boeuf charolais va être renforcé par d’autres facteurs. En fait, cette activité d’engraissement pour la consommation alimentaire restera même pendant longtemps assez secondaire au regard des autres fonctions attribuées à la production de boeufs charolais. Selon la description que donne Thuillier (1974) de l’économie du Nivernais au 18e siècle, il apparaît en effet que le boeuf, qu’il soit d’origine charolaise ou morvandelle, est d’abord et avant tout utilisé par les maîtres de forges ou propriétaires forestiers comme animal de trait pour le charroi de minerais et de bois. Ce n’est qu’à l’issue de sa carrière, vers l’âge de huit / neuf ans qu’il est engraissé pour la boucherie. Et si Claude Mathieu a joué un rôle emblématique dans la diffusion du charolais c’est parce que cette race, plus grande, plus forte, et plus rustique que d’autres auxquelles elle va se substituer, la morvandelle notamment, s’est trouvée mieux adaptée à ces fonctions de trait74. Les historiens insistent ainsi sur la part qu’a joué l’industrie Nivernaise dans le développement de la race charolaise et ses retombées sur l’agriculture.
Pour rendre compte de ce développement et de ces retombées, il faut donc les référer à l’essor des industries sidérurgiques et métallurgiques dans une région disposant de ressources énergétiques importantes (le bois et le charbon) pour alimenter les hauts fourneaux de gisements de fer et d’un réseau fluvial permettant l’écoulement de ces matières premières et des produits de ces industries. En effet, c’est en liaison avec cette industrialisation que la race charolaise va se diffuser depuis le Brionnais pour s’étendre à tout le bassin sidérurgique de la Nièvre et la Saône-et-Loire [Cavailhès, 1989]75. Comme le note l’historien André Thuillier (1974), pour la période 1820-1835, l’effet d’entraînement exercé par l’industrie sur le développement de l’élevage charolais est indéniable : « ‘la croissance des usines métallurgiques nivernaises, les perfectionnements introduits dans la fabrication du fer, contribuèrent efficacement au développement agricole (...) des races bovines. En effet, la suppression des petites forges provoqua l’assèchement de nombreux étangs convertis en excellents herbages qui profitèrent à l’engraissement de troupeaux. De plus, les besoins de l’industrie exigeaient un plus grand nombre de boeufs ; grâce à la création des routes, les charolais se montrèrent tout aussi capables de faire les transports que les morvandiaux (...). Enfin les maîtres de forges plaçaient volontiers leurs bénéfices dans les grandes propriétés. (...) Il semble donc que de 1820 à 1835, l’industrie nivernaise ait entraîné l’agriculture dans son sillage : tous ces propriétaires aisés, ces maîtres de forges, qui connaissaient l’Angleterre et admiraient son agriculture perfectionnée étaient tentés d’appliquer les procédés considérés comme les meilleurs : création de prairies artificielles, cultures de légumes, semis de vesces et de gesses pour engraissement à l’étable et croisement des races’ » [Thuillier, 1974, 62-63].
Développement agricole et développement industriel sont alors largement interdépendants. Les profits réalisés dans l’industrie étaient investis dans des propriétés, permettant à la fois de garantir l’approvisionnement des usines en animaux de charroi et de s’assurer une position sociale, une « assise foncière conséquente [étant le moyen] d’accéder à de la notabilité ou à des fonctions électives » [Cavailhès et al., 1989]. Par ailleurs, la mise en place de systèmes herbagers extensifs, moins demandeurs de main d’oeuvre que la culture céréalière libérait de la force de travail pour l’industrie et contribuait à un accroissement de la demande de viande bovine (lié à un changement de mode de consommation induit par le développement industriel)76 qui renforce ces systèmes mêmes. Suivant Cavailhès et al., (1989), ainsi l’essor de l’élevage charolais du 19e siècle s’insère dans un développement ’agro-industriel intégré’ qui peut être vue comme une manifestation de la naissance d’une ’agriculture moderne’.
Claude Mathieu sera présenté par certains historiens comme exploitant lui même des mines [Gauléjac, 1988].
D’après Jobard (1971) [cité par Cavailhès, 1989, 12], la Nièvre comptait vers 1810 déjà 30 hauts fourneaux, 103 forges et 108 établissements métallurgiques employant 15 200 ouvriers.
La crise de surproduction de blé et de seigle, et la prospérité industrielle sont les deux principaux facteurs qui ont poussé au développement de l’élevage au début du 19e siècle. Ainsi le nombre de boeufs engraissés pour Paris serait passé de 4500 boeufs en 1818 à 10 000 en 1827 et à 22 000 en 1842 [Boichard, 1971].