Section 5.1 La sortie de ’l’ordre éternel des champs’ et l’émancipation progressive du monde paysan

La mise en évidence d’un retard agricole français au début du 20e siècle est un thème récurrent dans la plupart des analyses de la modernisation de l’agriculture114. Il est alors important de rappeler dans quel contexte est dénoncé ce retard, avec quelle diversité dans les prises de position auxquelles il donne lieu. Parce que c’est avec l’idée d’une ’nécessaire’ modernisation de l’agriculture qu’émerge le socle même du champ professionnel agricole qui va se dessiner dans les années 50-60, il nous semble, en effet, utile de reprendre, bien que cela ait été déjà décrit maintes fois115, les raisons, d’abord, dans lesquels l’agriculture française a pu être alors perçue comme en retard, et celles ensuite qui ont amené à l’émergence d’une nouvelle conception de l’agriculture que les lois d’orientation agricole de 1960-62, qui confient le soin de gérer la mise en oeuvre de la politique agricole à ’la profession’, viendront officialiser.

Le principal débat, relatif au secteur agricole, émerge dès le début du 19e siècle et reviendra sur le devant de la scène publique de façon répétée. Il concerne la place que l’agriculture doit avoir dans la société et participera à la définition progressive d’un accord autour de l’idée que le développement de l’agriculture ne peut être réalisé sans la mise en oeuvre d’une véritable politique dans ce domaine et notamment de mesures ’d’encouragement’ à la production destinées à atteindre ce qui était alors posé comme un objectif central, l’autosuffisance alimentaire. Cependant, cette nécessaire ’adaptation’ de l’agriculture ne va pas s’imposer de manière immédiate. Elle met en jeu en effet des couches de paysans et des groupes intéressés à la définition du rôle de l’agriculture dont les intérêts sont très divers. Sans reprendre l’ensemble des ’luttes’ qui se sont déroulées, au fil de l’histoire agricole, entre les différentes organisations exprimant ces intérêts, nous pouvons distinguer ici schématiquement deux phases. La première est caractérisée par la place centrale qu’y occupe l’idée de la nécessité du maintien d’une paysannerie soumise à des élites externes au monde agricole, la deuxième correspond au développement progressif de l’expression des agriculteurs eux-mêmes et au développement d’une parité avec le reste de la société.

Notes
114.

Même si certains dénonceront ce retard comme un ’mythe’ (cf. Servollin 1989, Coulomb, Nallet, 1980), le caractère ’pré-capitaliste archaïque’ de l’agriculture ne faisant que manifester les conditions de l’insertion ’effective’ de ce secteur dans le fonctionnement d’une économie capitaliste [Coulomb, Nallet (1980) pp.6-8], il reste qu’il est bien au coeur des débats.

115.

Nous nous appuierons ici sur les analyses de Marcel Faure (1966), Pierre Barral (1968) et Georges Duby et al., (1976b), et sur l’approche proposée par Coulomb et Nallet (1980) de la genèse des orientations prises par l’agriculture française à cette époque.