Ce nouveau système de représentation, s’il s’inscrit bien dans un nouveau rapport d’ensemble de la société à l’agriculture, est particulièrement porté par ceux que l’on considère comme les agents principaux de la réorganisation que ce secteur va alors connaître, les jeunes agriculteurs du Centre National des Jeunes Agriculteurs, créé en 1956, issus, pour la plupart, du mouvement de la Jeunesse Agricole Catholique (JAC). Coulomb et Nallet (1980) décrivent ainsi la manière dont, à travers la JAC, alors constituée en véritable instrument de redéfinition du rôle de l’agriculture, ce groupe de jeunes agriculteurs, va opérer une rupture avec l’esprit conservateur de l’agriculture de l’entre-deux-guerres. C’est parce que les Jeunes agriculteurs vont s’appuyer sur des ressources mobilisables internes au monde agricole qu’ils vont intéresser une majorité d’agriculteurs prêts à adhérer à l’analyse jaciste de la modernisation tant ils sont désireux d’accéder à une parité avec le reste de la société. Concrètement, la théorie du développement de l’agriculture portée par la JAC repose sur l’idée d’assimiler la production agricole aux normes de la production industrielle. Elle prétend notamment par un accroissement des quantités produites des marchandises vendues, offrir à moyen terme aux paysans un niveau de vie comparable à celui des autres catégories sociales. Et c’est alors d’abord en dehors du syndicalisme agricole que va prendre forme l’idée de restructuration de l’agriculture.
Il faut en effet, rappeler ici qu’à la sortie de l’expérience de Vichy, l’autorisation est rendue aux organisations agricoles de se constituer librement. La volonté de la Corporation paysanne sera de se dégager de la tutelle de l’Etat126. Un affrontement aura alors lieu entre les partisans de la gauche au pouvoir qui revendiquent un principe unitaire mais démocratique en cherchant à fédérer les différentes composantes de la profession agricole au sein de la Confédération Générale de l’Agriculture (CGA) et qui échouera face à la FNSEA créée en 1945 qui parviendra progressivement à s’imposer dans l’ensemble des organisations professionnelles et sera dirigée majoritairement par des représentants de la grande culture. La FNSEA réussira à faire reconnaître son rôle de défenseur de la paysannerie face à la CGA, mais elle ne parviendra pas à engager une réorganisation du secteur d’activité agricole. C’est alors plus directement les Jeunes Agriculteurs modernistes qui réussiront à infliger un changement dans les orientations économiques de l’agriculture en cherchant à s’imposer dans un monde professionnel ou les postes de responsabilités sont réservés aux cultivateurs et ou seuls les chefs d’exploitation représentent l’ensemble des membres de l’exploitation familiale dans les organisations professionnelles. La Jeunesse Agricole Catholique, d’abord créé, dans la fin des années vingt, dans l’intention de remplir des missions d’ordre culturel et religieux va rapidement aborder les préoccupations d’ordre professionnel de ces jeunes qui se mobiliseront dans l’idée de ’bâtir des campagnes modernes et humaines’ (Houée, 1972, 8)127. Amenés à s’interroger aux conséquences de la modernisation de l’agriculture, ils s’impliqueront dans la gestion des exploitations familiales à travers le développement d’initiatives visant au développement du progrès technique et toucheront une majorité d’agriculteurs se reconnaissant dans le discours issu de l’idéologie jaciste. Les jeunes agriculteurs réussiront ensuite à s’imposer politiquement. En revendiquant le droit d’une reconnaissance syndicale pour les jeunes agriculteurs, il créeront, en 1956, le CNJA. Intégré à la FNSEA, le CNJA reconnu comme le syndicat des agriculteurs âgés de 21 à 35 ans, et dirigé par d’anciens leaders de la JAC, sera la seule organisation professionnelle agricole à approuver en 1960 la loi d’orientation agricole élaborée par le gouvernement se qui lui permettra d’acquérir une représentativité égale aux autres organisations professionnelles alors reconnue (la FNSEA, les chambres d’agriculture et le mouvement coopératif et mutualiste). Les Jeunes Agriculteurs faisant office de ’modèle paysan’ par le biais du CNJA et de la ’nouvelle’ FNSEA deviendront ainsi les interlocuteurs privilégiés des pouvoirs publics qui contribueront à la mise en place de leur hégémonie, l’Etat leur déléguant toute une part de la gestion du secteur128. Quoiqu’il en soit, l’analyse proposée par Coulomb et Nallet (1980) exprime bien l’idée principale d’une ’révolution silencieuse’ ou ’révolution dans les têtes’ caractérisant cette période. « ‘L’intensification du travail paysan depuis la deuxième guerre mondiale est aussi le produit du travail qui s’est accompli dans la conscience des paysans formés par le syndicalisme, elle est le résultat d’une pratique sociale’ » [Coulomb, Nallet, 1980, 45].
Pétain avait dissout et remplacé en 1940 l’ensemble des organisations agricoles par la Corporation paysanne qui sera mise en 1942 sous la tutelle du seul ministre de l’Agriculture.
La JAC jouera un rôle considérable dans la formation des jeunes ruraux et incitera une partie d’entre eux à entreprendre des études agricoles en vue d’assumer des responsabilités sociales et professionnelles dès les années trente.
Ainsi, selon le décret du 11 avril 1959, la responsabilité de la ’vulgarisation agricole’ est concédée à la profession à travers les Groupements de Vulgarisation Agricole (GVA), et deviendront un instrument de diffusion de la nouvelle vision du métier d’agriculteur de ces nouveaux dirigeants. Ils succèdent aux CETA jugés plus ’élitistes’ par les pouvoirs publics et le syndicalisme agricole. Cf. Bruno Lemery (1991) pp.75 et sq ; Pierre Muller (1984) pp.25 et sq.