Le premier point est relatif à la mise en évidence de deux espaces de références principaux, associés à certaines zones géographiques. Une première zone, dite ’traditionnelle’, est fortement associée à un système de production ’spécialisé’ et est opposée à une zone, dite ’mixte’, sur lequel l’élevage est combiné à une autre production.
La première zone, ’traditionnelle’, correspond à la zone herbagère, spécialisée dans l’élevage charolais : « ‘il y a la zone traditionnelle d’élevage charolais,... avec des systèmes spécialisés bovins ou bovins-ovins qui sont plutôt dans les zones herbagères auxois-morvan, avalonnais’ ». A cette zone est associée l’idée d’un passé révolu. C’est en effet, une zone sur laquelle « ‘les exploitations sont dispersées, sur un relief compliqué et ce n’est pas sûr que ce soit compatible avec l’agriculture moderne’ », « ‘c’est sur ces zones qu’on trouve des exploitations sans devenir’ ». Néanmoins, elle est également celle sur laquelle se déroulent encore aujourd’hui la plupart des manifestations témoignant de la légitimité historique et de la pérennité des activités d’élevage qui y sont exercées : « ‘c’était la zone ou historiquement il y avait les éleveurs de vaches allaitantes et c’est sur ces zones historiques que se déroulent les concours de bovins reproducteurs du charolais’ » avec une inscription précise des hauts lieux et des grands noms de l’élevage charolais par l’organisation de marchés « ‘d’animaux de boucherie d’une grande qualité c’est St Christophe en Brionnais, Autun, Saulieu, Charolles...’».
A cette zone traditionnelle est opposée une zone mixte, moins spécifiquement consacrée à l’élevage bovin allaitant : « ‘au fur et à mesure que l’on s’éloigne de ces zones herbagères, on trouve des systèmes avec des cultures’ ». Sur cette zone l’élevage apparaît comme une activité annexe seulement, c’est « ‘la zone à dominante céréalière avec une production complémentaire d’élevage charolais’ », et pourtant récente « ‘vous avez à la périphérie quelques endroits ou c’est pas possible de cultiver, c’est des éleveurs allaitants nouveaux, et ils n’ont pas que des charolais’ ». Si elle n’apparaît pas, au premier abord, appartenir pleinement au monde de l’élevage allaitant charolais, elle est pourtant aussi considérée, dans certains cas, comme porteuse d’avenir pour ce monde : « ‘la zone mixte est candidate à la finition [des animaux] parce qu’ils sont moins gênés aux entournures parce que les cultures ont apporté du fric, parce qu’ils ont des ambitions, c’est une zone potentielle d’engraissement’ ».
La description de l’élevage bovin bourguignon entre une zone ’stricte’ et une zone ’périphérique’, aussi schématique qu’elle soit et par son simplisme même, conduit ainsi à une première réflexion sur les éléments de définition du métier d’éleveur charolais ainsi relatés par les experts. Cette présentation invite en effet à s’interroger sur la légitimité accordée (ou non) en référence à ces deux espaces, l’un comme l’autre participant en fait à l’élaboration de cette définition, à différentes modalités d’exercice du métier d’éleveur.
Au delà de ses aspects géographiques, cette distinction entre un centre et une périphérie correspond à une certaine manière ’commune’ d’ordonner – et de hiérarchiser – le monde de l’élevage, comme en témoignent les glissements que l’on note dans l’extrait d’entretien suivant entre types de zones et types d’exploitations : « ‘/...finalement on s’est posé là, à un moment donné, de dire comment est-ce qu’on pourrait à dire d’expert essayer de regrouper les régions naturelles parce qu’on a à peu près quarante régions naturelles pour en faire des zones moins importantes(...) et on a fini par tomber sur une sorte de carte, déterminée toujours à dire d’expert, mais ça se confirme, c’est-à-dire que l’on a en fait une typologie des zones et même des types d’exploitations, c’est-à-dire que la typologie a évolué et que l’on peut très bien déterminer une zone d’élevage, où l’élevage est vraiment dominant, une zone mixte bovin viande, c’est-à-dire mixte au sens où il y a un mélange d’une partie de l’exploitation en céréales et en bovins et puis une zone de culture, c’est-à-dire où les bovins sont relativement peu dominants par rapport au reste de l’exploitation’ ». Même si la caractérisation par ’zones’ doit être considérée comme un opérateur de classement seulement parmi d’autres, bien des exemples évoqués par les experts nous montrant aussi sa relativité157, elle met en évidence tout un jeu d’oppositions et de complémentarités entre des façons d’être éleveur qu’il convient d’explorer plus précisément à travers les types de production.
« Parce qu’on trouve tout à fait côte à côte des exploitations totalement différentes, on peut trouver des éleveurs extensifs, producteurs de maigre et avoir à côté un éleveur intensif naisseur-engraisseur, et je crois que bien souvent ça tient plus à une qualité de l’éleveur qu’à l’évolution propre de son exploitation, bien sûr il y a des effets de terrain quand même, qu’on retrouve, mais il ne faut pas oublier ça aussi, il n’y a pas que le terrain qui fait la spécificité des exploitations ».