a) L’évolution des modalités d’entrée dans le métier

Le phénomène d’agrandissement rend d’abord, problématique ce que E.C. Hughes appelle les ’turning points’ qui marquent une carrière professionnelle. Pour ce qui concerne l’installation des jeunes, considérée comme une étape majeure dans la déclaration de l’identité professionnelle des agriculteurs, il se traduit par une difficulté croissante à reprendre des structures d’exploitation économiquement de plus en plus importantes. Pour contourner cette difficulté, de nouvelles formes d’exercice du métier plus ’sociétaires’ et moins ’familiales’ se développent : « ‘il y a aussi des choses qui se passent et qui devraient à mon avis se développer, c’est les formes sociétaires en agriculture, enfin formes sociétaires, emploi de salariés, etc. ; (...) l’agrandissement des exploitations, va amener, d’une façon ou d’une autre, à un moment donné, à trouver de nouveaux associés, donc ça peut être aussi un salarié, parce que les choix là, si l’exploitation est trop grande pour être gérée par une personne, c’est soit on la diminue, soit on prend un salarié, soit on prend un associé’  ».

Ce phénomène aboutit, ensuite, à renforcer le caractère ’choisi’ de l’exercice du métier. Suivant nos entretiens, en effet, l’installation des jeunes est vue comme plus délibérée que celle de leurs parents. Elle s’accompagnerait, également, d’un allongement significatif des études, modifiant les rapports au travail et aux organisation professionnelles des nouveaux entrants dans le métier : « ‘c’est des jeunes qui ont une bonne formation, qui ont choisi ce métier là et donc il y aura une dynamique qui va pas être négligeable ; (...) ils deviennent plus critiques, plus critiques vis-à-vis de la politique actuelle mais aussi vis-à-vis des organisations professionnelles qui sont censées donner un avis sur la politique agricole’  ».

Cette idée d’un métier qui serait de plus en plus choisi se retrouve dans la manière dont est appréhendée la question des installations dites ’hors cadre familial’ et, plus précisément des installations de jeunes qui ne correspondent pas à la norme courante suivant laquelle, pour être agriculteur, et a fortiori éleveur, il convient « d’être né dedans ». Sur ce plan, en effet, on note que l’accès au métier d’éleveur, d’individus ne relevant pas de ce milieu est jugé possible, même s’il reste encore largement contesté et qu’il se voit cantonné à des situations particulières (valant pour les zones les plus difficiles, notamment) : ‘« on voit arriver aussi de nouvelles couches dans l’agriculture, des gens à la marge de l’agriculture c’est vrai, mais malgré tout ils occupent le territoire, souvent dans les exploitations qui ont pas une taille jugée suffisante aux yeux des gens’  ». Cette ouverture, aussi relative soit-elle dans les faits, participe en tout cas à une remise en cause des normes établies d’entrée dans le métier : « ‘on parle beaucoup d’installations hors cadre familial, c’est très bien, enfin il n’y a pas de problèmes au niveau réussite, par contre beaucoup d’éleveurs s’interrogent sur justement l’installation hors cadre familial. (...) c’est vrai qu’ils ne sont pas nés tout habillés et puis, bon, c’est une autre vision du travail quoi, ça dérange’  ».