b) L’évolution dans l’organisation du travail

Du point de vue de l’organisation du travail, les experts relèvent une évolution importante qui se manifeste par des différences de comportements marquées entre les ’anciens’ et les plus jeunes : « ‘la frange jeune qui est passée à l’école, qui a un B.T.A ou B.T.S161, c’est des jeunes qui ont une capacité à apprendre, alors que les anciens étaient plutôt calés sur leurs a priori ; donc là ça va mieux, c’est des gens qui cherchent, qui voient comment ils peuvent faire évoluer les choses, donc sur plusieurs sujets, sur la rationalisation, sur la simplification, sur le potentiel, enfin, comment dire, sur une certaine optimisation des facteurs de production de leur exploitation ; donc on rentre dans quelque chose où la gestion prend de plus en plus de poids, c’est normal d’ailleurs, où les travaux les plus pénibles de tous les jours se trouvent simplifiés ; il y avait ça aussi, je crois que la concurrence entre le travail physique et le travail intellectuel était telle, il y avait tellement de travail physique que le travail intellectuel ne pouvait pas s’entreprendre, les gens étant fatigués on n’a même plus le temps de réfléchir, et on reproduit ce qu’on a fait l’année d’avant’  ».

Cette évolution ’naturelle’, tenant au simple renouvellement des générations est perçue comme aboutissant à une conduite globalement plus ’réfléchie’ des exploitations : « ‘on a quand même des gens qui évoluent, qui ont une plus grande ouverture d’esprit, donc qui ne subissent pas les événements, qui sont capables de les prévoir et de les gérer. J’allais dire, ils ont quand même les moyens actuellement de raisonner à plus long terme’  ». Mais, elle présente aussi des aspects plus négatifs tenant au surcroît de travail et aux difficultés de gestion induites par l’agrandissement : « ‘les gens ont plus de charge de travail, donc pour faire face à ça ils se sont mécanisés, donc en se mécanisant ils se sont endettés parce qu’ils ont souvent fait des emprunts, ça a engendré aussi souvent des problème de trésorerie parce que comme ils augmentaient la surface d’exploitation il fallait augmenter la taille de troupeau, donc quand on augmente la taille de troupeau, on garde plus de génisses pour la reproduction, on en vend moins à la réforme, donc quand on n’en vend pas et bien il n’y a pas d’argent qui rentre, donc il y a eu des difficultés de trésorerie, l’augmentation de la taille du troupeau a engendré un problème de construction de bâtiments...’ ».

Face à ce phénomène, on note une attention croissante à la question de l’amélioration des conditions de travail des éleveurs. La recherche de meilleures conditions s’effectue, d’abord, par une mécanisation plus poussée et un effort de simplification des tâches, moyennant une rationalisation des bâtiments et le recours à de nouvelles techniques : « ‘on voit, depuis deux à trois ans, beaucoup d’éleveurs qui se sont équipés en télescopique, c’est surtout pour les curages de stabulations, ou charger des bottes de foin. Et une simplification des systèmes, enfin du libre service ; également au niveau du choix génétique des taureaux, pour éviter des vêlages difficiles, il y a aussi depuis, trois à quatre ans, la vidéo pour surveiller les vêlages et puis ça vient aussi dans tout ce qui est travail’  ». L’investissement dans des équipements plus performants s’effectue moyennant un certain développement de formes d’organisation collectives : « ‘ça aussi ça a été une évolution, le développement des CUMA162, avec un intérêt pour du gros matériel, et du matériel performant ; on n’aurait pas imaginé, il y a dix ans, que vingt agriculteurs se mettent en CUMA pour s’acheter un tracteur de cent vingt chevaux, tout le monde devait avoir son tracteur, mais ils ont pris conscience que, pour les gros travaux, un tracteur de cent vingt chevaux c’était intéressant et ça ils pouvaient pas se le payer individuellement’  ». Plus généralement, l’augmentation de la charge de travail donne lieu, ensuite, à l’émergence d’un nouveau rapport à la question du recours à la main-d’oeuvre ’extérieure’, notamment à travers l’embauche de salariés ou l’utilisation de stagiaires : « ‘une fois qu’on a fait le plein avec tous les équipements disponibles, on est parfois obligé de passer à de la main-d’oeuvre intermédiaire, on le voit apparaître de temps en temps, et c’est des phénomènes récents ça’  ».

Cette montée des préoccupations relatives à l’organisation du travail est d’autant plus forte qu’elle s’inscrit sur un fond de transformations profondes des relations entre travail et vie familiale et sociale : « ‘dans les années qui vont venir on va avoir de grosses évolutions sur ce sujet là, pour se simplifier les travaux et puis (se) libérer du temps, parce que souvent, maintenant, les jeunes femmes travaillent à l’extérieur, ce qui veut dire que le copain ou le mari il faut qu’il puisse dégager du temps pour partir, pour les enfants, pour aller en vacances, pour vivre comme les autres quoi’  ».

Notes
161.

Brevet de Technicien Agricole et Brevet de Technicien Supérieur.

162.

Coopératives d’Utilisation du Matériel en Commun