c) Evolution des liens entre travail et autres sphères d’activités

Au vu des évolutions en cours, on peut, en effet, s’interroger sur la validité actuelle du modèle de l’exploitation familiale et du genre d’articulation entre famille et travail qui lui correspond : « ‘globalement on sent venir une séparation, enfin c’est peut être un peu fort ce mot là, mais un peu une séparation entre la famille et la force de travail, le travail en exploitation ; il y a un découpage entre vie familiale et travail sur l’exploitation, notamment sur les grosses structures où tout a été mécanisé, enfin tout se mécanise ; c’est ce qu’on sent venir, c’est pas encore tellement majoritaire, bon dans les jeunes agriculteurs, il y a pas mal d’épouses, d’abord il y a les célibataires et il y a des épouses qui travaillent à l’extérieur et qui ne travaillent pratiquement plus sur l’exploitation, et puis ce qu’on voit parfois, c’est les parents qui prennent la retraite et s’éloignent rapidement de l’exploitation alors qu’avant ils restaient sur l’exploitation’  ».

Ce nouvel état des choses est principalement attribué à des changements qui tiennent à la situation professionnelle des conjointes et entraînent parfois des modification importantes par rapport à une exploitation familiale plus ’classique’, que ce soit dans l’organisation du travail agricole ou dans la vie familiale. Le ’bénévolat’ est encore fortement utilisé pour pallier un manque de main d’oeuvre, mais de nouvelles situations émergent et contribuent à une meilleure prise en compte de la reconnaissance du travail de la femme. Ces situations se caractérisent par l’intégration officielle de celle-ci dans l’exploitation, la volonté d’accéder au statut d’agricultrice nécessitant la redéfinition du travail entre les membres actifs de l’exploitation : «  ‘il y a aussi des exploitations, type E.A.R.L¹⁶³ mari-femme, où la femme est exploitante aussi et où elle participe aux travaux ; ça c’est lié peut-être aussi aux difficultés de trouver un emploi à l’extérieur, (elles) veulent la reconnaissance par un salaire, et c’est très bien, elles veulent être agricultrices à part entière’  ». Ces situations peuvent aussi correspondre à l’exercice par la conjointe d’un travail extérieur à l’exploitation, exercice qui met en évidence l’importance des tâches qu’elle effectuait dans le passé sur l’exploitation sans que cela ne soit jusqu’alors considéré comme un ’travail’. Elle sont perçues par les experts comme impliquant le renoncement de l’exploitant à certaines ’facilités’ : ‘« ceux qui sont dans ce cas là, c’est pas la facilité pour eux ; la facilité c’est d’avoir une maison avec sa femme qui ne bouge pas, les repas sont à l’heure, le téléphone c’est elle qui s’en occupe, les relations avec l’extérieur c’est elle, et le mari lui, il y a une espèce de ségrégation là dedans, il fait son job, et il ne s’occupe pas du reste’  ».

Un autre trait d’évolution évoqué concerne le changement d’attitude d’un certain nombre d’éleveurs vis-à-vis de la scolarité des enfants. On assiste là à un phénomène que les experts désignent comme un ’rattrapage’ par rapport à d’autres secteurs de production agricoles : « ‘on a été pendant longtemps, dans les zones traditionnelles de l’élevage, à avoir des jeunes qui s’installaient sans diplômes et par contre des BTA ou BTS qui s’installaient dans les zones céréalières ou viticoles (...) depuis cinq ans les jeunes qui s’installent ont autant de formation que les céréaliers ’». Bien que cette évolution soit considérée comme la prise de conscience par les éleveurs de ce que l’apprentissage ’sur le tas’ devient insuffisant, à lui seul, pour acquérir l’ensemble des compétences qui leur sont demandées, elle tient également sans doute à un alignement sur la réglementation exigeant un niveau minimum d’étude des jeunes pour pouvoir prétendre à certaines aides à l’installation [Maresca, 1986].

Plus généralement, enfin, les experts soulignent la montée d’un souci d’ouverture sur l’extérieur, de décloisonnement du monde de l’élevage et de rapprochement avec d’autres groupes sociaux, « ‘(l’éleveur) qui a une femme qui travaille à l’extérieur, quand les copines viennent à la maison, il ne faut pas qu’il dise qu’il est crevé, il faut qu’il ait de quoi discuter et, là, il s’aperçoit que son discours est creux ou alors qu’on tourne toujours sur le même registre, et donc ça veut dire que ça va l’encourager à se cultiver, à aller un petit peu sortir, à aller en réunion, à faire de la formation quoi, à vivre comme les autres... l’évolution se fera sûrement de ce côté là, ça préfigure un monde agricole, un monde de l’élevage qui ne sera pas différent des autres catégories sociales’ ».