b) Un nouveau régime de ’justification’

Un deuxième ordre d’évènements largement évoqué par les experts pour rendre compte des perturbations qui affectent aujourd’hui le monde de l’élevage concerne la mise en cause dont il fait l’objet de la part de ’l’aval’ de la filière.

L’élevage charolais ne s’est pas trouvé directement affecté par l’ESB164, il a même, en un sens, bénéficié de la crise de la ’vache folle’, dans la mesure ou elle a abouti à une certaine réévaluation de son caractère ’traditionnel’ : ‘« l’E.S.B ça a été pour nous une satisfaction, parce qu’il n’y a pas eu de charolaise atteinte de vache folle’ ». Cet événement est ainsi assez généralement considéré comme une chance pour la production de viande charolaise, dans la mesure où il a contribué à la distinguer notamment de celle de la viande issue des troupeaux laitiers en mettant l’accent sur les avantages d’un élevage ayant su rester ’naturel’. Cet événement n’a cependant pas été sans effet sur l’identité des éleveurs : « ‘les gens se sont sentis touchés dans leur métier, c’est comme quand on dit à un paysan qu’il est pollueur,... quelque part, quand la personne se regarde dans un miroir, ça la touche profondément, c’est quand même quelque chose qui touche en profondeur’ ». Et il s’est traduit par des exigences renforcées de justification.

Le simple fait de produire du charolais sur un mode relativement extensif ne suffit plus en effet à conférer aux éleveurs charolais des compétences et une identité qui iraient de soi. Ce qu’ils font doit être maintenant ’garanti’. Les éleveurs ont ainsi à faire face à une augmentation des contrôles de leur production, ce qui implique une multiplication des actes d’enregistrement et des contrôles de leurs façons mêmes de produire, soumises à de nouvelles règles165 : « ‘ce qu’il faut seulement c’est enregistrer tout, tenir un cahier d’élevage et puis avoir des preuves, accepter de se faire contrôler’ ».

La ’publicisation’ des activités d’élevage issue de ces nouveaux types de ’contrats’ se traduit également par des modifications dans le regard et les jugements que les éleveurs portent les uns sur les autres. La crainte d’un accident qui pourrait mettre à mal l’ensemble du monde de l’élevage allaitant donne lieu à un renforcement de la surveillance mutuelle dans la profession. Les individus suspectés d’utiliser des produits illicites, alors qu’ils étaient relativement bien tolérés avant la crise de l’E.S.B, sont désormais dénoncés avec vigueur : « ‘demain, un problème de substance interdite ça fera mal à tout le monde, il y a vraiment une prise de conscience très forte..., il y a cinq à dix ans, le gars qui traficotait, qui était un peu le Robin des bois, il était bien vu, et puis il payait pas trop mal la vache, tout le monde se retrouvait, on savait qu’il faisait son petit truc, maintenant il se fait dénoncer et on a même vu des gars qui se sont fait tabasser’ ».

La recherche de légitimité vis-à-vis de l’extérieur de la profession se traduit donc également, à l’intérieur de la profession par une transformation dans la manière d’apprécier la valeur même du travail d’éleveur. Rendre compte de ce que l’on fait est dorénavant partie intéressante d’un métier dans lequel il ne s’agit plus seulement de produire mais aussi de savoir dire ce que l’on produit et comment.

Notes
164.

Encéphalopathie Spongiforme Bovine

165.

Comme, par exemple, l’obligation de constituer une pharmacie dans un local spécial, d’établir un facturier et un ordonnancier permettant de conserver tous les documents pour établir la preuve du respect d’un code de bonne conduite de l’élevage et de communiquer certains documents à différents services administratifs.