TROISIEME PARTIE -
La transformation du monde professionnel
charolais expérimentée par les éleveurs

Introduction

Dans cette troisième partie, nous allons présenter ce qui ressort de l’examen que nous avons entrepris de la transformation du métier d’éleveur à partir de notre enquête auprès de ceux qui se trouvent directement concernés par cette transformation. Cette enquête a été réalisée sous la forme d’entretiens menés avec vingt et un éleveurs correspondant aux différents cas de figure ’pertinents’ identifiés sur la base de l’analyse du corpus ’expert’ constitué pour la phase exploratoire de notre travail telle que nous venons d’en rendre compte. Visant à appréhender comment les éleveurs eux-mêmes participent à la transformation des normes d’exercice de leur métier, le traitement de ces entretiens a été organisé autour de deux axes de lecture. Ces deux axes de lecture ont été retenus en fonction des objectifs de notre problématique, c’est-à-dire selon l’idée générale que la compréhension du sens des transformations dans lesquelles le monde de l’élevage est susceptible de s’engager dépend de la position qu’ils occupent et des ’modalités d’agencement’ dans le champ professionnel des différents points de vue dont les éleveurs sont porteurs quant à la définition de ce que doit être l’exercice de leur métier et de la position qu’ils occupent dans leur champ professionnel.

Partant de ce principe, le premier type d’analyse des entretiens a donc consisté à caractériser la façon dont les éleveurs rendent compte de leur situation actuelle et des changements auxquels ils se trouvent confrontés. L’inventaire des différents ’registres de signification’ que mobilisent pour cela les éleveurs a abouti à mettre en évidence trois ’récits-types’ permettant de préciser ce que recouvre l’expérience diverse qu’ils ont de la transformation de leur monde professionnel.

Le deuxième type d’analyse a alors consisté à qualifier les différentes identités professionnelles dont étaient porteurs les éleveurs de notre population d’enquête. A partir de la prise en compte, d’une part, de la manière dont les éleveurs se présentaient, mettaient en avant une certaine histoire personnelle pour justifier leurs façons de voir et d’exercer leur métier et, d’autre part, des caractéristiques de position sociale qui étaient les leurs, nous avons ainsi cherché à dégager les diverses formes identitaires qu’ils exprimaient afin de nous faire une idée des positions en jeu dans le champ professionnel de l’élevage.

Un troisième type d’analyse a consisté à examiner, comment se combinaient l’expérience de la transformation du métier dont les éleveurs enquêtés sont porteurs et la diversité des formes identitaires auxquelles elles renvoient afin de chercher à rendre compte des possibilités d’évolution du champ professionnel de l’élevage. Elle cherche à éclairer comment les types de discours produits sur ce qu’il faut désormais faire en fonction de la position de ceux qui les portent ont plus ou moins de poids dans le champ professionnel et participent plus ou moins directement à la redéfinition du champ professionnel.

Quatre enquêtés sur les vingt et un (E01 ; E06 ; E13 ; E21) n’ont pu être classés lors de nos deux phases d’analyse. Ces quatre cas correspondent à des enquêtes qui se sont déroulées dans une période transitoire pour ces éleveurs : installation en cours, départ à la retraite proche ou récente,... De plus, dans un cas, la présence de nombreuses personnes lors de l’entretien et notamment d’un technicien de Chambre d’Agriculture, de l’épouse et des deux enfants de l’exploitation et d’un voisin (même si cette situation est intéressante pour explorer les positions prises par les différents acteurs sur le sujet) n’a pas permis de dissocier la parole de l’enquêté de l’ensemble des participants à la réflexion sur la transformation du métier d’éleveur et de rendre compte des jugements personnels qu’il pouvait porter sur son métier et sur le déroulement de sa carrière professionnelle. Compte tenu du manque d’informations collectées lors des entretiens pour ces quatre cas, nous avons préféré les exclure aussi bien de la typologie de la transformation que de la présentation des formes identitaires.

C’est donc à partir l’analyse de dix-sept entretiens que nous avons organisé cette dernière partie. Dans un premier temps (Chapitre 7), nous présenterons les récits types auxquels nous sommes parvenus à l’issue de notre analyse des prises de positions des éleveurs face aux transformations de l’exercice de leur métier. Un deuxième temps (Chapitre 8) sera consacré à la mise en évidence des différentes formes identitaires qui résultent de l’analyse des caractéristiques biographiques et relationnelles des enquêtés. Enfin, un troisième temps (conclusion) viendra compléter cette analyse afin de rendre compte du croisement entre récits-types et formes identitaires et de proposer des hypothèses quant à l’évolution du métier d’éleveur et à engager une réflexion sur les apports et limites de cette étude du point de vue de son inscription dans une sociologie compréhensive du travail en agriculture.