b) Une fixation sur la situation actuelle : être en phase avec ce qui se fait aujourd’hui pour être reconnu

Il s’agit d’éleveurs qui cherchent également à relever un défi, mais sans s’étendre pour autant sur ce qu’ils faisaient auparavant. Ils se caractérisent par un discours simplement orienté sur l’intérêt d ’être « en phase » avec le cours des choses. Peu critiques à l’égard du modèle ’classique’ de l’élevage, et des ’figures traditionnelles’ qui le soutiennent, ces éleveurs accordent peu d’importance dans leur propos à ce qui se faisait et même à ce qu’ils faisaient. Ils donnent d’ailleurs, même si cela peut paraître à première vue paradoxale, l’impression d’une continuité, celle-ci s’exprimant non pas tant dans le rapport au cours des choses que par l’adéquation au temps présent. Plus silencieux donc sur les remises en cause antérieure de leur monde professionnel, ils sont par contre très préoccupés par l’importance de démontrer la cohérence de leur point de vue avec ce qu’il est jugé aujourd’hui important de faire par les organismes professionnels agricoles. En effet, ce qui importe aujourd’hui à leurs yeux, c’est de (se) convaincre qu’ils ont réussi à « s’adapter » et à maintenir leur identité dans la situation actuelle et de ne pas faire partie d’éleveurs désormais dépassés, (même s’ils peuvent par ailleurs regretter la situation antérieure du monde qui est le leur).

Cela se traduit par une prédominance dans leur discours d’allusions au thème de l’adaptation, comme si la conception qu’ils ont de leur métier était centrée sur leur capacité à faire avec ce qui leur arrive  : « ‘on s’y est fait/ on s’est habitué/ on s’y fait tout doucement/ on n’était pas habitué/ on essaye de respecter/ on suit/ il faut suivre... ’», leur souci étant de faire la preuve qu’eux en tout cas ne font pas partis des éleveurs ’surpassés’. Au-delà du fait qu’ils cherchent à se distinguer de ceux qui sont restés en arrière ou sont allés trop de l’avant, comme le montre l’idée d’une ’sur-utilisation’ des primes, ce qu’ils veulent manifester c’est surtout leur capacité à faire face à une situation nouvelle.

Pour eux, il est donc important de faire partie des éleveurs qui donnent le ton, montrent l’exemple, en répondant notamment, à la demande du marché, comme le montre le propos suivant.

Dans la mesure où le type d’animaux produit, leur qualité, leur écoulement dans le temps, etc., sont définis par l’aval de la filière allaitante, il s’agit de s’adapter à ces exigences. Et dès lors qu’ils considèrent avoir un faible pouvoir d’intervention sur la définition de ces exigences, c’est dans leur capacité à ajuster leur activité en fonction d’un cadre déterminé par l’aval que se joue la preuve de leur excellence professionnelle. Ils sont donc particulièrement impliqués dans un type de gestion de la production dans lequel l’adéquation entre l’offre et la demande occupe une place centrale.

Soucieux de rompre avec l’image d’un métier immuable, resté en retrait, incapable d’évoluer, trop fréquemment associée à leurs yeux à l’élevage allaitant, ils se revendiquent comme les participants actifs d’une dynamique, en montrant en quoi ils sont ’à la pointe’ ou tout au moins en quoi ils ne font pas partie des éleveurs considérés à la traîne. Il s’agit pour eux de présenter le métier d’éleveur allaitant sous un nouvel aspect, jusqu’alors largement ignoré ou s’étant traduites par des initiatives inappropriées. Les stratégies qu’ils développent alors pour faire la preuve de leur capacité d’adaptation, ne serait-ce que pour rester dans le coup, passent par une participation active aux initiatives collectives proposées et reconnues officiellement par les organismes professionnels agricoles et s’opposant au monde de l’élevage allaitant tel qu’il est incarné par les anciennes figures de l’élevage.

Pour rester en phase avec les nouvelles orientations prises par la profession, les éleveurs regroupés dans ce deuxième récit s’insèrent donc dans les organisations professionnelles afin de bénéficier des informations sur ce qui est jugé être la norme à suivre pour répondre aux nouvelles exigences du métier, même si en même temps leur implication ’politique’ est à leurs yeux secondaire.