a) Vers la levée des freins au développement

Si ces éleveurs se sont orientés vers des pratiques jugées innovantes par rapport à ce qui se faisait, ils ne s’attardent cependant pas sur le passé de l’élevage mais en profitent, que se soit à travers le développement d’un genre nouveau de sélectionneurs ou de nouvelles techniques d’engraissement, pour défier cet ordre des choses et se projeter dans ce qu’ils considèrent comme une ouverture sur l’avenir de leur métier. On trouve alors, dans leur discours, peu d’éléments renvoyant à une dénonciation de difficultés liées à la transformation du métier. Tout s’est, en effet, éclairé pour eux dès lors qu’ils ont réussi à échapper à ces mondes jugés traditionnels et complexes que sont la sélection, l’embouche, le maquignonnage, etc. Enfin débarrassés de ce qui entravait leur activité, ils évoluent dans un contexte ou désormais tout paraît aller de soi, leur métier acquérant ainsi un sens en quelque sorte ’évident’.

Le discours qu’ils tiennent porte ainsi essentiellement sur la levée de pratiques ou comportements qui entravaient la liberté d’entreprendre et la possibilité d’évolution de l’élevage. Ils s’appuient sur leur propre expérience pour montrer en quoi un véritable changement d’orientation suppose le refus d’une conception qu’ils jugent aujourd’hui passéiste du métier, telle qu’elle est incarnée par les figures classiques de l’élevage (exemple du monde des ’sélectionneurs’) ou des modèles techniques aujourd’hui dépassés (exemple des hormones). Pour eux, en effet, ces modèles imposés à l’ensemble des éleveurs ont verrouillé la possibilité d’une véritable modernisation de l’élevage. Le déblocage auquel ils ont l’impression d’avoir participé leur permet de désigner leur secteur d’activité comme, enfin, tout à fait acceptable et comparable à d’autres secteurs agricoles et de bien mettre en évidence comment ils ont laissé derrière eux un monde désormais révolu. Bien qu’ils se considèrent comme faisant partie du monde des éleveurs allaitants, ils ne craignent pas, pour exposer la restructuration de leur métier, d’emprunter certaines références à d’autres secteurs de production agricole qui, selon eux, s’en sortent plutôt bien et qu’ils jugent performants.

  • Encadré 34 : quelques indicateurs de cette révolution technique et sociale (E05 ; E07)
    Exemple 1 : « On faisait de la culture comme des éleveurs avant, maintenant on a plutôt tendance à faire de la culture comme des céréaliers».
    Exemple 2 : « Le commerce, le petit commerce comme ça, c’est complètement révolu, j’en suis de plus en plus persuadé. Ça ne peut plus exister».

C’est comme s’ils avaient soudain découvert, d’abord qu’ils n’étaient pas aussi performants qu’ils le pensaient, et d’autre part qu’ils avaient les moyens de remédier à cela, à condition qu’ils défient le monde dans lequel ils étaient jusqu’alors insérés plutôt que de le prendre en exemple.

Du coup, on comprend pourquoi on ne relève pas dans le discours de ces éleveurs d’éléments critiques à l’égard de certaines injonctions actuelles qui leurs sont adressés. L’important pour eux, c’est d’avoir réussi à échapper à certains modèles traditionnels et à gagner une reconnaissance professionnelle nouvelle.