a) Une administration du métier à laquelle on souscrit

Ces éleveurs ont un point de vue très affirmé sur le bien fondé de leur système et ce n’est pas, pour eux, le moment de remettre en question le fondement de leur conception du métier. Ils ont défini de grandes règles à suivre sur lesquelles ils ne veulent pas revenir. On voit par exemple dans l’encadré suivant, comment l’un d’entre eux affirme avoir trouvé ses marques à travers la manière dont, selon lui, les exploitations d’élevage allaitant ont récemment évolué. Sa volonté de chercher à relier performance économique et technique et perfection du travail se traduit par une prise de position très tranchée à l’égard des évolutions en cours associant le souci de réagir à ce qui se faisait (par exemple à travers l’épreuve des hormones) à celui d’éviter de tomber dans de nouveaux travers.

  • Encadré 38 : entre performance et perfection, définition de règles à suivre (E07)
    « On est plus performant, ça c’est clair. Mais ça a été un petit peu le mauvais côté de l’affaire, c’est qu’en fait, on a été plus performant donc on a voulu en faire plus et c’est vrai qu’aujourd’hui, on est arrivé un petit peu à saturation par rapport à la main d’oeuvre. Et tout ça dépend aussi (...) des limites, chacun les met où il veut. Moi, je connais bien des gars qui font deux cent cinquante hectares à eux seuls et qui y arrivent mais tout ça dépend de comment on veut faire le travail. Disons que globalement on est, sans vouloir être trop prétentieux, on est quand même perfectionniste, on aime bien le travail bien fait et on aime bien le résultat, on aime bien que ce soit bien. On aime bien une certaine propret...Toutes les exploitations qui ont explosé, là, surtout depuis cinq à six ans, cinq à dix ans, qui ont doublé, triplé, voilà. Les gars qui travaillent bien, c’était bien fait leur travail, effectivement, ils y ont gagné des moyens de production, ils sont plus puissants financièrement mais on voit le résultat. Il y a beaucoup de choses qui sont laissées un petit peu pêle-mêle et c’est quand même pas... Enfin, eux, ça ne les gêne peut-être pas, moi, ça me gênerais. Voir un tas de prés avec des bâches qui traînent pendant un an ou deux, enfin bon, c’est un exemple mais il y a plein de petites choses comme ça».

Un autre point semble important à noter à propos de ces éleveurs est la manière dont ils ont réussi à s’approprier certaines exigences adressées à la profession pour les retourner à leur avantage. Ils mettent ainsi en avant, par exemple, la possibilité d’utiliser judicieusement les primes. Ils expliquent comment ils parviennent à gérer ces primes tout en conservant une autonomie dans leurs choix de production. Cela ne les empêche pas, pour autant, de se plaindre du poids que représente aujourd’hui la paperasserie dans l’organisation de leur travail. Ils dénoncent d’ailleurs le caractère bureaucratique de la gestion (et du contrôle) des primes, sous des formes voisines de celles du premier groupe d’éleveurs précédemment analysé, mettant en avant le fait qu’ils tiennent à conserver un rapport distancié avec ’l’administration’ de l’agriculture. Cependant, pour eux, savoir jouer avec les primes et aussi faire la preuve de leur professionnalisme et celles-ci participent donc à la reconnaissance de leur travail, l’usage qu’ils en font n’apparaissant marqué par aucun sentiment de culpabilité. Il s’agit, en quelque sorte, d’un outil supplémentaire mis à leur disposition pour faire valoir leur compétence et démontrer leur capacité d’adaptation, des primes pouvant avoir, selon eux, des répercussions positives pour l’ensemble de la profession, pourvu qu’elles soient utilisées de façon opportune.

  • Encadré 39 : des primes gérées sans sentiment de culpabilité (E05)
    Enquêté : « De toute façon, on va s’adapter à ce qu’ils vont nous pondre. Il peut y avoir des changements, mais on va s’adapter, suivant ce qu’ils vont nous mettre en place. L’objectif de toute façon, (c’est) il faut ramasser le maximum. Au niveau des primes, il faut essayer de prendre le maximum. Parce que ça c’est indépendant de tout. C’est con mais c’est comme ça, maintenant. C’est pour ça que les mauvais ils s’en sortent mieux qu’avant je pense. Le mec qui a une grande surface et puis qui fait tout à coup de pied, coup de poing, il s’en sort quasiment mieux qu’avant, , avec le système de primes».
    Enquêtrice : « Ça ne vous dérange pas ? ».
    Enquêté : « On subit nous ».
    Enquêtrice : « Vous subissez mais, en même temps, vous prenez beaucoup de décisions, sur vos orientations  ? ».
    Enquêté : « Oui, mais ça c’est un peu indépendant. Les reproducteurs, les réformes de la pac , ça n’a pas changé grand chose dans ce boulot là. A part la prime au bovin mâle, qui est plus importante et qui nous oblige de dire aux gens si elle a été prise ou si elle est à prendre, c’est-à-dire que ça rentre dans la discussion dans tout commerce, pour vendre des reproducteurs. (Là) ou ça change quelque chose, c’est (au niveau de la situation de) l’ensemble de la profession. Si ça marche bien, les gens sont plus à l’aise pour venir acheter un reproducteur, si ça marche mal ils sont moins à l’aise, alors là ça se ressent quoi. C’est-à-dire que s’ils donnaient moins de primes, bon, les gens ils serrent de tous les cotés».

Plus globalement, il semble qu’utiliser les primes c’est, pour les éleveurs de ce récit, accepter que les règles du jeu ont changé, acceptation d’autant plus aisée que les primes permettent de donner leur chance à d’autres éleveurs que ceux qui avaient les positions les plus assurées depuis des générations.

  • Encadré 40 : une utilisation maximale des primes générée par une situation hors cadre (E04)
    Bon, moi quand je me suis installée, on n’avait pas trop de fric. Donc les subventions, moi je les utilisais à plein. Je me renseignais sur les subventions, quelles subventions existaient, les aides et tout ça, et à chaque fois j’en causais (à mes voisins). Je leur disais, on a fait le bâtiment, on a demandé une subvention, on a acheté une barrière, on a demandé une subvention et tout ça. Et eux, ils n’y voyaient, au début, pas trop bien parce que (...) c’est des gens qui se sont installés sans aides Jeune Agriculteur, les parents ont installé leurs enfants avec leur argent. Ils avaient assez d’argent, c’est des fermes qui étaient assez riches et donc demander de l’argent aux autres, ce n’était pas dans leur mentalité. Et à force de leur causer des subventions, de leur dire tiens, on pourrait acheter ça à plusieurs parce que ça ne sert pas beaucoup et puis ça coûterait moins cher et puis à force de nous entendre causer et tout, et bien quand on voit les prix du matériel augmenter et puis les vaches baisser donc ça s’est déclenché un peu quand la pac est arrivée.