b) Description de positions qui n’étaient pas toujours facile à assumer

A partir de l’inventaire de ce qu’ils considèrent aujourd’hui comme les erreurs qui ont été commises au fil du temps, ces éleveurs justifient la manière dont ils ont opéré une reconversion, en s’engageant dans un réajustement de leur métier en fonction de leurs convictions. On a vu comment, dans l’encadré précédent, cette rectification est finalisée par la construction d’un label charolais dans le ’berceau de la race’ et devient pour ces éleveurs un nouveau symbole de la représentation de leur métier. On peut également noter la façon dont ces éleveurs rendent compte de leur propre changement de point de vue quant à l’évolution de leur métier.

• Encadré 48 : un signe de cette reconversion : admettre que l’on a changé d’avis (E08)
  « Il y a un point sur lequel j’ai beaucoup changé c’est l’agrandissement, la taille des exploitations. Je voyais un peu le système américain, ou même soviétique, aux Etats-Unis ou même en Angleterre aussi, c’est pas rare une exploitation de cinq cent, mille hectares. Et ça je me disais c’est sûrement bien, c’est bien même. Mais, aujourd’hui, je m’aperçois que c’est une erreur, que la taille des exploitations est même inversement proportionnelle au bonheur du paysan. (...). Et c’est vrai que quand j’étais jeune, avec la formation, je me disais qu’est-ce qu’il doit être heureux le gars, un céréalier qui à cinq cent hectares dans une même parcelle, ça c’est bien, c’est une bonne ferme, aujourd’hui je me dis que c’est complètement con. Il vaut mieux une diversité».

La plupart des éleveurs exposent ouvertement comment ils ont opéré un changement dans la manière d’approcher leur métier. Le procès qu’ils ont fait à l’élevage allaitant, et, en partie, à leur propre participation à sa définition leur a permis de développer une vision plus critique, et selon eux, plus ’juste’, de leur activité professionnelle. Un autre aspect de ces entretiens est en effet la nécessité que ressentent ces éleveurs de justifier, d’argumenter cette reconversion. Ainsi, pour la plupart d’entre eux, il est important de faire la preuve qu’ils ont eu de bonnes raisons de se lancer dans cette reconversion d’autant plus qu’ils ne sont pas toujours pris au sérieux et doivent essuyer un ensemble de critiques portant, par exemple, sur le fait que le label est réservé à quelques éleveurs minoritaires, et les obligent à se montrer convaincants. Il importe en effet, pour eux, de se dégager d’une image ’ringarde’ de l’agriculture qui leur a été associée dès leur engagement dans cette reconversion.

• Encadré 49 : un changement d’identité difficile à assumer (E09)
  « Lorsqu’on s’est installé en agriculture bio, on était regardé un petit peu,... de dire les petits rigolos qui arrivent. Je n’avais pas trop l’aspect soixante-huitard mais les gens se sont dit, il va vite retrouver l’agriculture conventionnelle. On faisait rire et puis c’était bien que ça ne me perturbait pas trop mais il y a des personnes que ça bloque par rapport à ça, ils ne veulent pas avoir le premier champs de blé avec des coquelicots».

Si cette situation peut pousser à une argumentation plus forte de leurs convictions, elle s’inscrit également dans une prise de position affirmée par rapport à l’état actuel de l’élevage allaitant. Et c’est bien à partir de la défense de ce point de vue à propos de leur position dans leur champ professionnel que ces éleveurs se distinguent des éleveurs des deux premiers récits.