7.3.3 Un recours à une certaine tradition ou authenticité de métier

C’est en affirmant la nécessité de lutter pour faire reconnaître ce qui est ’essentiellement’ leur métier, que ces éleveurs énoncent ce qu’il conviendrait de faire. Faisant ressortir quels sont les ’valeurs’ authentiques de l’élevage allaitant qui ont été délaissés au fil du temps, ils cherchent ainsi à les réhabiliter. Mais cet appel à un retour à l’authenticité doit également s’accompagner, selon eux, d’une revalorisation de l’élevage allaitant qui lui permette de se détacher aussi bien d’une conception passéiste du métier que du modernisme prôné par le ’modèle professionnel classique’.

Le fait pour ces éleveurs de procéder à l’inventaire des points de dysfonctionnement du métier, qu’ils soient passés ou actuels, résorbés ou toujours objets de controverse est une phase importante dans la reconstruction positive de ce qu’il faudrait faire. Contrairement aux éleveurs du récit 1 qui épuisent leur discours dans la mise en évidence des points noirs de l’élevage allaitant, les éleveurs de ce troisième récits mobilisent certains objets pour argumenter sur les valeurs du métier qui sont à préserver ou à restaurer. Ainsi leur discours vise à montrer en quoi l’éleveur charolais a su rester aussi un ’véritable’ éleveur allaitant.

On voit là comment certains aspects du métier particuliers à l’élevage allaitant sont repris et mis en valeur. C’est le cas, par exemple de la ’subjectivité’ avec laquelle les éleveurs abordent leur métier, à la différence des techniciens et des laitiers plus ’objectifs’ et qui ont une autre vision de la productivité. C’est alors à un type particulier de raisonnement qui rend compte de la diversité des animaux produits et des gammes de produits qui en résultent que ces éleveurs se sont ’adaptés de manière empirique’ aux exigences actuelles de la production.

Ce qu’ils ont ’conservé’, c’est une capacité à apprécier les types d’animaux et les types de marchés et définir les décisions à prendre. Ainsi, ’s’adapter’ renvoie, pour cet éleveurs, à cette capacité de faire les bons choix, alors même que les types d’animaux produits et les gammes de produits évoluent. Il est ainsi important, pour ces éleveurs, de montrer comment la référence à une certaine ’culture de l’élevage’ ne se traduit pas pour autant par un retour à une forme d’exercice du métier qui serait démodée.

Marqués par le souci de conserver cette référence à un « culture de l’élevage », ils justifient alors le fait de rester un peu en retrait des organisations officielles, sans que cela ne viennent pour autant entraver leur participation à la réflexion concernant leurs pratiques d’éleveur. Paradoxalement, en effet, c’est bien parce que ces éleveurs ont cherché à prendre du recul vis-à-vis de certaines formes de conception du métier plus formelles qu’ils ont pu mettre en avant des pratiques innovantes.

Pour compléter leurs critiques à l’encontre d’une agriculture conventionnelle, ils mettent en avant d’autres styles de définition du métier en faisant ressortir la manière dont ils se représentent leur métier comme un « art de vivre », ou encore en justifiant la nécessité de développer « le charolais humain ». Ils proposent tous, même s’ils ont procédé diversement pour mener à bien cette expérience, de s’engager vers d’autres types d’agricultures qui s’opposent à la seule rentabilité économique.

Les éleveurs de ce récit mettent également en avant comment leur expérience en rupture avec une agriculture productiviste leur permet d’envisager leur métier beaucoup plus sereinement. L’interprétation qu’ils donnent des principaux problèmes qui incombent à l’éleveur ’conventionnel’ est en partie référée, comme le font certains éleveurs du récit 1, à l’augmentation du stress et du rythme de travail inhérent aux exploitations agricoles.