8.2.2 Une organisation du travail perfectionnée

Concernant la mise en pratique de leur métier, ces éleveurs insistent sur la complexité de leur système d’exploitation. L’importance qu’ils accordent à une organisation méthodique de leur activité se manifeste au travers de deux points en particulier. Le premier renvoie au fait que leur système repose sur un collectif associant plusieurs personnes. Le deuxième est lié à la définition même que ces éleveurs donnent de leur exploitation. Situés dans des zones qui permettent une valorisation de certaines de leurs parcelles en cultures, même s’il ne s’agit pas pour autant de régions céréalières, ces exploitants se présentent davantage comme des polyculteurs-éleveurs (ou naisseur-engraisseur) que comme des éleveurs.

Cette présentation du métier de ’polyculteur-éleveur’ montre bien l’importance pour cette catégorie particulière d’éleveurs d’une organisation assez stricte des différentes activités à conjuguer et des efforts à accomplir pour ajuster les activités les unes par rapport aux autres en fonction des saisons. Ils décrivent par exemple avec fierté leur capacité à gérer les travaux des champs, chacun étant attaché à une fonction bien précise, y compris la femme de l’enquêté qui doit s’occuper de ravitailler les ’travailleurs’ au fur à mesure des possibilités de pause qu’ils s’accordent, en fonction de la distance qui sépare le chantier sur lequel ils se trouvent des lieux d’habitation et de l’avancée dans le travail prévu.

On retrouve cette importance du ’réglage’ des activités entre elles et de l’organisation du travail dans les nombreuses descriptions données par ces polyculteurs-éleveurs. Ainsi, ils mettent, par exemple, l’accent sur l’importance du matériel et des investissements faits en vue de simplifier le travail, comme le montre l’extrait suivant à propos des bâtiments d’élevage.

Le fait d’être d’abord une femme ensuite ’extérieure’ au métier, comme le montre le propos ci-dessus, renforce cette exigence en matière d’organisation du travail et renvoie à la volonté de faire la preuve de ses capacités en matière d’élevage et d’être acceptée dans le métier. L’intérêt porté à un ensemble de méthodes et de techniques permettant de simplifier le travail est ainsi fortement exprimé par ces éleveurs et fait l’objet d’une distinction entre ceux qui réalisent ces modifications et ont des conditions de travail correctes et les autres qui travaillent dans des conditions beaucoup moins confortables. Il est ainsi assez naturel, pour eux, de se lancer dans la construction d’un nouveau bâtiment dès lors qu’il n’y a plus assez de place pour loger l’ensemble des animaux. Contrairement au premier profil identitaire, ces éleveurs, souvent engagés dans une logique d’agrandissement de leur exploitation, mettent tout en oeuvre pour limiter le temps de travail quotidien avec les animaux.

Si ces éleveurs insistent sur l’importance à accorder à la construction de bâtiments fonctionnels, on retrouve également cet objectif de simplification dans la répartition du travail entre les différents membres de l’exploitation. L’invention, par exemple, de nouvelles formes de gestion de permanence lors de la période des vêlages est fortement mise en avant par les éleveurs de ce profil, montrant comment même la phase de travail liée aux vêlages, souvent considérée comme immuable et structurant une grande partie du travail de l’exploitation, peut connaître de fortes améliorations et être à la base de nouvelles formes d’organisations.

Plus précisément, on se rend compte à la lecture de ces entretiens que l’organisation du travail résulte d’une division spécifique du travail. Elle repose sur les aptitudes spécifiques à chacun des membres du collectif, certains s’identifiant, par exemple, plutôt aux ’céréaliers’, attirés par le travail des champs, par l’utilisation des machines agricoles, et ayant une bonne connaissance des produits phytosanitaires, des dates de semis etc., et d’autres étant plutôt considérés comme ’éleveurs’, attitrés à la manipulation et au soin des animaux, à la gestion des lots d’animaux, au choix de la sélection, à la connaissance des produits pharmaceutiques, etc., ces rôles étant distribués sur chacune de ces exploitations de polyculture élevage.

Le plus souvent, cette organisation n’est cependant pas uniquement basée sur un partage strict des activités, chacun devant être polyvalent pour réagir en fonction des priorités, être capable de remplacer un membre de l’exploitation en cas de besoin et pouvoir participer aux discussions concernant l’organisation du travail en connaissance de cause.

La répartition de certaines activités est cependant assez flexible et n’est pas forcément définie en fonction des seules aptitudes et des intérêts que leur portent ces polyculteurs. La distribution du travail est redéfinie lors de l’arrivée d’un nouvel entrant dans l’entreprise. S’il est difficile de rendre compte de la manière dont est décidé le partage des tâches à effectuer au sein du GAEC, il semble toutefois que le plus souvent un compromis est fait en fonction des aptitudes décelées lors de l’entrée sur l’exploitation et des intérêts portés à certains ’postes’ de travail même si cette redéfinition de la division du travail ne remet pas pour autant en cause l’ensemble de l’organisation établie auparavant. Cette division du travail, si elle apparaît au premier abord prendre en compte l’ensemble des avis et intérêts de chacun des membres de l’exploitation, cache sans doute une part d’insatisfaction dans ces réajustements. Il est par exemple nécessaire de déléguer le travail ’qui se voit’, le gros oeuvre souvent plus apprécié pour s’occuper des ’bricoles’ qui, même si elles sont jugées moins gratifiantes, apparaissent fondamentales dans le fonctionnement de l’exploitation. Ces activités présentées comme étant à la marge du métier constituent la principale ouverture vers l’extérieur de l’exploitation et restent souvent à la charge ’d’un’ chef d’exploitation.

Ceci dit, certaines ambivalences subsistent à propos de certaines activités qui gardent un statut quelque peu marginal et sont rejetées aux abords du métier alors que ces polyculteurs-éleveurs cherchent à dégager du temps pour mieux les intégrer dans l’organisation du travail. Le travail, en tant qu’activité concrète exercée sur l’exploitation (que ce soit à travers le travail à l’intérieur de l’enceinte de la ferme, ou le travail du dehors c’est-à-dire sur le parcellaire de l’exploitation) reste alors généralement dissocié des réunions hors de l’exploitation, et plus généralement des activités touchant à l’organisation de la profession.

On voit comment les compromis concernant les objectifs communs aux membres de l’exploitation sont effectués à partir des tâches de travail internes à l’exploitation, les ’autres activités professionnelles’ (temps passés en réunion, etc.,) n’étant pas comptabilisées comme relevant d’activités de travail à proprement parler, mais comme un choix personnel au même titre que les loisirs. La division du travail sur l’exploitation ne donne pas pour autant une idée très explicite quant à la place de ce type d’activité complémentaire dans l’exercice du métier même si, comme on va le voir maintenant, il s’avère en même temps fondamental pour ces polyculteurs dans la conception même de leur métier.