8.3.2 Une entrée dans le métier particulière

Pour caractériser comment se présente la dimension biographique des éleveurs de ce troisième profil identitaire, nous proposons de montrer, à partir de l’exemple de deux trajectoires assez différentes l’une de l’autre, comment ces éleveurs rendent compte de la manière dont ils ont progressivement affirmer leur position pour la défense d’une agriculture différente d’une conception ’conventionnelle’.

Dans le premier cas, il s’agit d’un agriculteur qui, bien qu’il se soit installé au départ avec son père, est en total désaccord avec lui en ce qui concerne la manière de définir son métier et a réorienté son exploitation et ses pratiques en rupture avec ce que faisait celui-ci.

Tout au long de son récit, cet éleveur reprendra les divergences d’opinion ainsi générées, par exemple, par son projet de conversion à l’agriculture biologique et son souci d’amélioration du ’confort’ donné aux animaux, projet vécu comme un aboutissement de sa volonté, affirmée dès le départ, de travailler autrement que ne le faisait et le fait encore son père.

Dans le deuxième cas, il s’agit d’un agriculteur qui a eu un parcours scolaire peu commun à son époque pour un futur installé. Titulaire d’un bac scientifique et ayant fait des études d’ingénieur agronome, il s’installe sur l’exploitation de son grand-père avant de procéder à la conversion de son exploitation en agriculture biologique et de s’engager dans la défense de ’l’éthique’ qui soutient ce type d’agriculture. Là encore, la présentation de cette installation peut permettre de mieux comprendre la conception qu’il a de son métier.

Cet éleveur montre comment son projet a émergé d’une réflexion déjà entreprise et discutée avec son père sur le type d’agriculture qu’il conviendrait de développer compte tenu des avancées techniques, des exigences de la demande et des marchés qui semblaient se profiler au moment de son installation.

Les exemples ici mis en avant s’appuient sur la description d’expériences vécues de quelques enquêtés seulement, mais ils permettent bien de faire ressortir l’importance, pour l’ensemble des éleveurs de ce groupe de la recherche d’une démarcation (autant personnelle que professionnelle) par rapport à une agriculture “conventionnelle”. Cette recherche passe par des expériences et des parcours scolaires et professionnels ’différents’ qui les ont conduits à s’inscrire dans des groupes professionnels pas toujours bien reconnus, que ce soit en opposition ou en accord avec leur milieu familial suivant une trajectoire à partir de laquelle ils ont été amenés à justifier plus fortement que dans les autres profils la conception qu’iks se sont faite de leur métier.

Même s’ils reprennent l’idée de l’importance de l’imitation, ou de la mémoire technico-pratique spécifique à l’éleveur, leur processus d’installation ne témoigne cependant pas d’une référence exclusive aux savoir-faire hérités du type de ceux exprimés dans le premier profil. La description de leur phase d’installation s’accompagne d’une plus grande mise en avant des différents points de vue de leurs proches (généralement leur père) quant à l’exercice de leur métier. Tous installés dans les années soixante-dix, ces éleveurs d’une quarantaine d’années ont un niveau d’étude un peu près équivalent aux éleveurs du deuxième groupe. Toutefois, ce processus d’installation ne renvoie pas exactement non plus au type de réflexion technico-économique qui caractérise le profil entrepreneurial, même s’ils partagent avec ces derniers l’idée de l’importance d’un engagement professionnel dans leur métier.