Conclusion générale

Pour traiter de la question de la transformation du métier d’éleveur charolais, nous nous sommes engagée dans une démarche se voulant à la fois compréhensive et située. Nous avons justifié l’intérêt que présentait une telle démarche lors de la présentation du cadre retenu pour notre recherche, cadre visant à combiner les apports de la sociologie du travail et de la sociologie des professions avec les impératifs de notre problématique propre. Une telle perspective nous a amenée à mettre en place un dispositif de recherche ’multidimensionnel’ reposant sur deux approches de notre objet. La première renvoyait à une volonté de comprendre le monde professionnel de l’élevage à partir de la manière dont les éleveurs eux-mêmes envisagent la redéfinition de leur métier. La seconde renvoyait au souci de prendre en compte la structuration de ce monde. Nous avons donc accordé une attention particulière aussi bien à ’l’expérience’ que les éleveurs faisaient de la transformation de leur activité professionnelle qu’à la position qu’ils occupaient dans leur champ professionnel, position appréhendée notamment à partir des modalités de la ’présentation de soi’ qui soutenait la manière dont les éleveurs que nous avons enquêtés racontaient cette expérience.

Suivant cette problématique c’est bien cependant l’articulation de ces deux approches qui nous importe. Toute l’organisation de notre analyse repose, en effet, sur une hypothèse centrale. Cette hypothèse est que, si la transformation de leur métier est bien à référer aux significations que les éleveurs peuvent en donner, il convient aussi de prendre en considération le fait que les conceptions qui sont les leurs en la matière ont plus ou moins de chance d’acquérir une visibilité dans le monde de l’élevage et de se traduire effectivement par une redéfinition des normes en vigueur dans ce monde, cette visibilité et ce pouvoir de concrétisation dépendant de la ’force de l’argumentation’ des éleveurs mais aussi de leur ’poids social’. Pour appréhender la transformation en actes du métier d’éleveur, il nous faut donc passer à une troisième et dernière phase d’analyse permettant de dégager comment les différents points de vue exprimés par les éleveurs sur la possibilité et les conditions d’un changement des modalités d’exercice de leur activité, tels que nous avons pu les mettre en évidence, sont susceptibles de se combiner, compte tenu des caractéristiques de position de ceux qui les portent.

Dans cette conclusion générale, constituant le dernier moment de notre travail, nous allons alors voir ce qu’il en est de cette articulation entre ’croyance’ et ’poids social’. Pour cela, nous partirons de la vue d’ensemble du monde de l’élevage charolais qui se dégage du croisement que l’on peut effectuer des deux typologies que nous avons établies des ’récits de changement’ que nous ont livrés les éleveurs, d’une part, et des ’formes identitaires’ qui sont les leurs, d’autre part. L’analyse que nous avons faite des formes identitaires caractérisant les éleveurs de notre échantillon nous permet, en effet, d’appréhender les liens existant entre les points de vue exprimés par ces éleveurs sur les changements en cours dans leur métier et certaines positions constitutives du champ professionnel de l’élevage charolais. Ces liens ressortent assez bien du tableau ci-dessous, montrant comment se distribuent les éleveurs que nous avons rencontrés suivant le type de ’récit’ dont ils sont porteurs (en ligne) et le type de ’position’ qui est le leur (en colonne).

Tableau 2 : distribution des éleveurs enquêtés articulant ’récit type’ et ’positions’
Récits-types / Profils identitaires Récit 1 Récit 2 Récit 3 Enquêtés non classés Effectif
Position 1 E02 ; E03 ; E12 E15 ; E16 ; E20 6
Position 2 E04 ; E05 ; E07 E10 ; E17 ; E18 E19 7
Position 3 E08 ; E09 ; E11 E15 4
Enquêtés non classés E01 ; E06; E13 ; E21 4
Effectif 6 7 4 4 21

La superposition exacte entre les groupes issus des deux phases d’analyse précédentes telle qu’elle ressort de ce tableau semble alors indiquer l’existence d’un monde de l’élevage charolais bourguignon plutôt ’éclaté’. Dans un premier temps, c’est donc sur cet éclatement que nous nous arrêterons, en revenant sur les principaux traits caractéristiques des trois ’segments professionnels’ que notre recherche a ainsi mis en évidence. Mais le fait même que ces trois segments apparaissent comme relativement ’étanches’ amène aussi à s’interroger sur la dynamique professionnelle d’ensemble de ce monde. Dans un deuxième temps nous examinerons, en conséquence, ce que cette recherche permet de dire des relations existantes ou susceptibles de s’établir entre ces trois segments, afin de rendre compte de cette dynamique et du genre d’évolution du métier d’éleveur charolais qui peut en résulter. Pour finir, au vu de ces résultats, et des limites qu’ils révèlent, nous formulerons quelques considérations sur les prolongements qu’il conviendrait de donner à notre travail.