2.2 – Une deuxième articulation autour d’une volonté de ’professionalisation’ du métier d’éleveur

Le souci de ’modernité’ que partagent le deuxième et le troisième des groupes qui se dégagent de notre analyse constitue le fondement d’une deuxième articulation possible entre les différents segments dont l’opposition structure le champ professionnel des éleveurs charolais. La convergence susceptible de s’établir entre ces deux groupes repose là sur la proximité des conceptions qu’ils développent à propos du travail sur l’exploitation. Pour ces ’entrepreneurs’, l’efficacité et la rentabilité constituent en effet des valeurs communes. Cette proximité se retrouve, également, dans la manière dont ils appréhendent les relations entre leurs activités professionnelles, leurs activités personnelles et leurs engagements civiques. Ils portent ainsi un même intérêt à la famille et au temps nécessaire à lui consacrer, d’une part, et ils accordent une attention similaire à l’importance d’un engagement public se traduisant par un fort investissement dans les organisations économiques et politiques du monde de l’élevage. Pareillement attachés à faire la preuve de leur sensibilité et de leur capacité de réponse aux exigences qui leur sont aujourd’hui adressées, ils sont tous deux animés par la volonté de démontrer qu’ils sont bien en phase avec les nouvelles demandes sociales exprimées à l’égard de leur profession. Cela se traduit, par exemple, par un souci de produire ’mieux’ même si c’est avec des logiques un peu différentes. Les éleveurs du groupe ’2’ ont ainsi tendance à insister sur l’idée qu’il convient d’assurer avant tout une qualité homogène et régulière des produits tandis que ceux du groupe ’3’ s’investissent plutôt dans des filières de qualité plus distinctives, par la production d’animaux labellisés ou biologiques.

Convergents donc autour de l’idée qu’il est nécessaire de changer et de s’adapter à de nouvelles exigences si on veut s’en sortir aujourd’hui - les diverses accentuations qu’ils donnent à cette idée pouvant apparaître relativement complémentaires au regard de l’intérêt pour les éleveurs allaitants de trouver à la fois à s’inscrire dans un marché de produits de masse ’sûrs’ et ’standards’ et à exploiter des opportunités de ’niche’- de ces deux groupes se caractérisent également par une proximité de positions assez grande. Leur pouvoir économique et leur poids politique font de ces éleveurs des ’leaders’ dans leur profession. Mais cette proximité même en fait aussi des concurrents très directs, en compétition pour le contrôle des orientations légitimes à imprimer au monde de l’élevage, ce qui rend très problématique leur coopération à un travail collectif de redéfinition du métier d’éleveur charolais.

Au delà de la segmentation que nous avons mis en évidence dans la première section de cette conclusion, certaines convergences et certaines complémentarités apparaissent donc susceptibles de s’établir entre les différents groupes qui se dégagent de notre analyse. Celles-ci s’accompagnent aussi de possibilités de conflits au regard desquels l’éventualité d’un éclatement du champ professionnel de l’élevage ne saurait exclue. Dans ce contexte, les éleveurs du groupe ’3’ nous semblent jouer un rôle assez déterminant dans le cours que pourraient prendre les transformations à l’oeuvre dans ce champ, du fait de la place centrale qu’ils occupent dans le travail de médiation que suppose l’accomplissement de la redéfinition de rôle dans laquelle l’ensemble des éleveurs charolais se trouvent aujourd’hui impliqués. Au terme de notre recherche, c’est alors la figure suivante que nous proposerons pour rendre compte de la dynamique globale de ces transformations, telles que nous nous sommes efforcée de les appréhender.

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Figure 6 : Une vue d’ensemble des mouvements à l’oeuvre dans la transformation du monde de l’élevage charolais

Mais si une telle vue d’ensemble correspond bien à l’interprétation que nous avons pu collecter et élaborer, il n’en demeure pas moins que cette interprétation reste fragile et hypothétique dans la mesure où elle est fondée sur des informations qui présentent assurément certaines limites, limites qui appellent quelques observations, pour finir.